Socio Enfants de Tolkien et de Marvel
Vivre geek
Au coeur du changement, la tribu geek sort de ses réserves. Jeux vidéo, ciné, net, communautés... Peu de secteurs échappent à son influence.
NACZYK,RAFAL
mercredi 13 décembre 2006, 09:47
I ls sont « geeks » (prononcez « ghiiks ») et fiers de l'être. Pas par mode ou par contestation. « Parce qu'on ne décide pas d'être geek. On le vit, on le ressent », affirment Xavier Sayanoff et Tristan Schulmann, coproducteurs et réalisateurs du futur documentaire Suck my geek, dont la bande-annonce fait actuellement un tabac sur la Toile. De minorité silencieuse, tapie dans les tuyaux du World Wide Web, ils se sont transformés en prescripteurs d'opinion, régnant en seigneurs sur le monde du divertissement.
Consommateurs boulimiques de SF, férus de cinéma de genre, de jeux vidéo ou de comics, on leur prête un langage qu'ils seraient seuls à comprendre. Des références, des graphies, une mythologie et un look propres. « Plus que des codes, c'est une culture qui s'apparente à une religion et qui a des dogmes, des oeuvres fondatrices, explique Tristan Schulmann, parmi lesquelles Le seigneur des Anneaux de Tolkien, Star Wars, l'univers Marvel ou encore le jeu Donjon et Dragons... ».
Borderline, voire déviant pour certains, le geek est avant tout un « passionné, à la limite du raisonnable », précise Xavier Sayanoff. Un fêlé, certes, mais doué d'une soif de connaissance des oeuvres et des domaines qui le captivent. Technophile ultracompétent, souvent en avance sur son époque, le geek est mû par une volonté de partage et de transmission qui le conduit à avoir « une vision beaucoup plus globale des choses, par sa capacité à ne rien dénigrer, à prendre tout avec un regard ludique sur le monde qui l'entoure. »
Car si elle s'est révélée au monde par le biais des nouvelles technologies, la galaxie geek est constellée de branches et de tendances diverses. Qui sortent ses adeptes des frontières virtuelles. Ainsi, le geek heroic fantasy pratique occasionnellement le jeu de rôle grandeur nature ; le geek mangas ou comics façon Marvel retrouve ses semblables lors de consortiums ou de festivals dont le plus connu est le Comic Con, à San Diego, énorme concentration de fanas costumés, en collants de superhéros ou en jupette de Wonder Geekette. Ce phénomène, le cosplay, « demande une créativité au niveau des costumes, avance Tristan Schulmann. Ils sont notés, élaborent des chorégraphies et de véritables mises en scène. On y croise des bidouilleurs de génie, au sein desquels on trouve souvent des filles, passionnées de cinéma et de séries B. »
Fonctionnant en réseaux, virtuels ou non, le milieu s'est considérablement féminisé, ces dernières années. Initiées à ces univers à travers les mangas et les jeux vidéo, les geekettes émergent par milliers, préférant collectionner les gadgets high-tech plutôt que les colliers de mère-grand.
Signe des temps : Anita Lixel, mannequin australienne, figure désormais récurrente du paysage audiovisuel bruxellois (elle présente des émissions sur TV Brussel et VW EscapeTV, sur le Net), poursuit une carrière de chanteuse dans un pur style geeksta diva. Sur scène, un look délirant, mélange de paillettes et de jupes flashy, aux motifs pixellisés. A l'écoute de son single In my Game... Boy, des jeux de mots louant la dextérité du gamer et la sensualité du joystick.
Un double sens que la belle cultive depuis son plus jeune âge : « Toute ma vie, j'ai vogué entre deux univers. Celui du fantastique, des ordinateurs, et le monde réel. J'ai gardé énormément d'amis geeks. Ce ne sont pas des robots programmeurs, ils ont une sensibilité très développée et une vraie force créative. Au début, il n'y avait aucune fierté à s'affirmer comme tel, c'était même péjoratif. Mais les gadgets et la technologie ont sauvé notre vie. Ils ont défini notre style et celui de nombreuses autres personnes au quotidien ».
Alors, le geek power : révolution ou malédiction ? Une réalité que les pontes de l'industrie ne prennent pas du tout à la rigolade. Qu'il se consacre au cinéma, à la bande dessinée, aux jeux vidéo, à internet ou à la musique, plus aucun marketeur ne peut se permettre de s'aliéner la base des fans, la niche. Nintendo, Sony et Microsoft reposent sur des armées de testeurs anonymes qui donnent leur avis sur le game play au fur et à mesure qu'un jeu est développé. A Hollywood, John Lasseter et Pixar ont dû repousser la sortie de Cars suite à un premier buzz négatif émis par la communauté.
Qu'on le veuille ou non, les geeks exercent une influence considérable sur les pans dominants de la culture contemporaine. « A travers les nouvelles technologies, ils instaurent la porosité des médias : les comics deviennent des films, qu'on recycle en jeux vidéo qui, à leur tour redeviennent des comics, explique Xavier Sayanoff. Génératrice d'argent, la culture geek change toute la donne de la distribution des biens culturels. On est tous en train de devenir un peu geek ». Bienvenue dans votre nouvelle existence.
