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Chapitre 7
Kémalok la perdue
Quelque part au nord de Mirabar
Vu d’en haut, Balkoth se résumait à une tache grisâtre, floue, alors que Tanator et Conrad étaient respectivement rouge et vert, visibles par intermittence, selon les désirs du vent, jouant avec les branches des hauts pins de la clairière. Les nuages, d’un gris tendre mais opaque, s’étendaient à perte de vue vers le sud et, plus au nord, semblaient être blancs mais, étrangement, la démarcation entre les deux était nette, comme tracée à la craie. Les deux cours d’eau s’unissaient en un seul sous moi et je distinguais clairement son parcours entre les frondaisons. La rivière venant de l’ouest semblait se perdre, au loin, dans la forêt alors que celle venant du nord pointait vers un massif plus gris que le sol, imposant, bouchant la vue. Et, sous le couvert des arbres, se glissait l’eau, sombre chemin serpentant, la surface ridée sous l’effet des bourrasques de vent. Le vent ce matin là était assez fort, aussi avais-je fait usage d’un sort de vol afin de quitter le sol et ainsi pouvoir guider mes amis vers cette cité perdue. C’était bien plus prudent que de risquer la vie de l’un de nous en grimpant à un des pins, hauts mais frêles.
Le vent faisant bouger les nuages rapidement, je décidai d’attendre un peu afin de mieux distinguer ce qui se cachait au nord. Mon nez ne coulait plus, alors que la veille encore je passais mon temps à passer ma manche sous les narines pour absorber cette satanée goutte. Ce miracle, je le devais à la bise, glacée depuis ce matin, qui m’avait figé la morve au nez. Mais malgré mon attente, les nuages ne daignaient pas bouger et l’impatience de Balkoth semblait se faire grandissante car, par moment, j’entendais sa voix rauque hurler mon nom, aussi je décidai d’abandonner mes observations et de remettre les pieds sur la plancher des vaches. Tout en me triturant le bout du nez afin d’ôter ce petit glaçon, je redescendis au sol, et après avoir fait un rapide résumé de mes observations, nous reprîmes notre longue marche, combat de tous les instants contre les éléments.
***
- J’espère que tu sais où tu nous emmènes Conrad. Tu sais bien que j’ai du mal à vous suivre, alors t’as intérêt à ce que ce soit le bon chemin !
Je ne sus jamais s’il m’avait entendu, mais en tout cas, il ne se retourna pas pour me répondre, et je replongeai dans mes pensées, cerné par les flocons et les cris du vent. La paisible forêt avait laissé place à un terrain beaucoup plus ardu et ne cessait de gagner en inclinaison. Nous longions la rivière qui de large cours d’eau paisible était passée à l’état de furieux rapide, zigzaguant entre les rochers de la montagne. Heureusement que mon épais manteau me protégeait efficacement sinon j’aurais déjà fait demi-tour depuis longtemps et aurais ainsi retrouvé un ciel plus clément. Mais bon, je ne pouvais laisser le druide avec cette malédiction et surtout, il nous fallait trouver des fonds pour notre future grande entreprise… L’Anneau nous coûterait une fortune, je le savais bien, mais nous ne pouvions le laisser tomber entre de mauvaises mains. Et avec Auril et Loviatar à nos trousses, nous devions faire vite.
Et ainsi, plongés dans mes multiples pensées, les journées passaient rapidement et, malgré les conditions météos peu favorables, Conrad s’avéra être un bon guide. Le soir, il entrait en transe afin d’attirer à lui les animaux et pouvait ainsi se mettre au courant des endroits difficiles, des coins à éviter ou, par moment, faisait cela tout simplement pour passer le temps. La nature se présentait ainsi comme un précieux allié, et je suis certain que nul n’y aurait pensé, si ce n’est justement le druide car qui, de prime abord, penserait qu’un tel endroit, si désolé et si dénudé, puisse servir d’abri à quelqu’animal que ce soit ? Et ce soir là, après un échange avec un mouflon à l’entrée de la grotte où nous avions trouvé refuge, Conrad se tourna vers nous, un sourire ornant son visage fatigué à la barbe hirsute et touffue.
- Demain, nous serons arrivés à destination. La rivière s’enfonce dans la montagne un peu plus au nord. Ce soir, nous pouvons dormir en paix, il n’y a pas d’animal en chasse sur ces terres.
- Si cela ne te dérange pas, je préfère tout même prendre mes précautions. Et l’elfe se leva, farfouillant dans les bourses suspendues à sa robe écarlate. S’étant assez approché de l’ouverture de la caverne à son goût, il se pencha sur la paroi, et y répandit une fine poudre, tout en murmurant des phrases dont le sens serait tout à fait incompréhensible pour quelqu’un de non-initié aux obscurs savoirs de la magie. Et après quelques secondes passées à marmonner et saupoudrer le sol de l’entrée et les parois y attenantes, il termina sur une grande arabesque qui eut pour effet de produire un petit flash lumineux et de lui dessiner un léger sourire en coin.
- Les pièges à tonton Tanator, ils piègent même ceux qu’ils sont censés protéger, noyé dans un torrent de flammes ! Dis-je, hilare.
- Oui, surtout les gnomes qui parlent trop, n’est-ce pas Zouran ?
- Ouais euh bon, réveillez-moi un peu avant l’aube, je prendrai le relais.
- Zouran, l’aube est dans plus de 10 heures…
- Bein quoi, on peut essayer, nan ? Bon j’prends le premier quart, à tantôt les gars.
Mon tour de garde se passa sans encombre et je pus griffonner de nouvelles idées dans mon carnet de voyage sans avoir à lever le nez de mes notes. Lorsque je n’arrivai plus à garder les yeux ouverts, je m’en allai réveiller Balkoth, roulé en boule dans ses couvertures. Un petit nuage s’échappait de sa bouche au rythme de sa respiration mais lorsque je m’approchai de lui, cela cessa, aussi compris-je qu’il était d’ores et déjà réveillé. Il me tendit une de ses couvertures, déjà bien chaude, et s’en alla en silence à l’entrée de la grotte. La dernière chose que je vis avant de plonger dans le sommeil fut celle de ce grand gaillard aux cheveux sombres, en broussaille, se rasant la barbe au poignard, adossé à la paroi.
***
Au réveil, tout le monde était là : Tanator, le nez dans son grimoire aux teintes dégradées de rouges et orangés entremêlées en d’innombrables courbes, Conrad, couché face contre terre et Balkoth, réchauffant des morceaux de viande sur les braises du feu de veille. Je décidai d’avaler un morceau de pain gris et de ne pas attendre d’avantage pour me plonger dans l’étude de mes sorts. L’ambiance, calme, était propice à l’étude aussi je pus rapidement replonger mon tas de parchemins au fond du sac pour aider Balkoth à vider les écuelles de lard et de pain rassis et ainsi engloutir la ration du papy verdâtre. Tout en dévorant mon plat, je gardais le regard rivé sur l’écuelle de Tanator, placée sur les braises, et finalement, sans doute car il ne savait pas comment me le faire savoir, Balkoth se leva, prétextant une envie urgente, et s’en alla hors de la grotte, me laissant à ma proie du matin. Conrad et Monsieur Boule-de-Feu ne remarquèrent jamais la disparition de leurs déjeuners car je n’avais pas encore fini qu’ils vinrent ranger leurs affaires tout en me demandant de me dépêcher car la journée serait longue… De toute façon, il me semble normal que je mange plus qu’eux puisque c’est moi qui aie le plus de pas à faire pour couvrir les distances que nous devons parcourir !
***
Effectivement, nous parvînmes assez rapidement à l’endroit où le cours d’eau émergeait des profondeurs de la montagne. Une eau limpide et fraîche coulait rageusement entre deux pierres aplanies par le temps, s’avançait d’abord fièrement vers l’à-pic pour finalement s’y jeter en un grand fracas ininterrompu, mais comme pour cacher sa honte de tomber si bruyamment en un endroit si calme, la chute se camouflait derrière un épais nuage de bruine. La rivière faisait cinq bons mètres de large à sa sortie de la montagne et son lit était recouvert de galets, arrondis par le passage incessant de l’eau. Et mis à part cette rivière, il n’y avait rien. Pas la moindre trace d’une ville qui serrait cachée dans les entrailles de l’imposant massif !
Conrad alla s’appuyer contre la haute muraille, mur apparemment naturel surplombant l’abîme, commença à la tâter et j’allai rapidement le rejoindre car, après tout, je suis le seul ayant vécu sous terre parmi cette petite bande de gais lurons. Mais nous eûmes beau tâter, frapper ou observer la paroi, rien ne laissait paraître qu’auparavant, ici, se trouvait une ville. Alors, une fois de plus, Conrad se mit à genoux dans la neige, ferma les yeux et fredonna quelques douces paroles en une langue étrange, calme comme le fleuve et douce comme le miel. Ce faisant, il avait approché ses mains de la paroi et d’un coup, elles pénétrèrent la roche, passant au travers, sans déformer la pierre. Et petit à petit, il s’enfonçait, sans effort apparent, pour finalement entièrement disparaître dans le mur. Quelque peu étonnés par cette démonstration, nous ne dîmes rien, et quelques longues secondes plus tard, la tête de Conrad émergea de la roche. Toujours concentré sur sa tâche, il ne nous dit rien, sorti du mur et entonna une autre prière, sur le même ton que la précédente, douce et grave à la fois. Cette fois-ci, le résultat fut bien différent, car lorsqu’il eu joint les mains devant son torse, elles semblèrent prendre un aspect beaucoup plus foncé, sombre, et aussitôt les précipita–t-il en direction de la roche. A leur tour, elles s’enfoncèrent dans la roche et après avoir farfouillé dedans, elles ressortirent, toute boueuse, tenant une grande quantité de ce qui semblait être de la boue.
- Pas bête, mais nous allons-y passer pas mal de temps avec cette technique, commentai-je.
- Je ne dispose pas d’un autre moyen pour l’instant Zouran, il faudra nous en contenter, à moins que tu n’aies sous la main un bélier capable de faire s’effondrer ce rocher de plus de trois mètres d’épaisseur ?
- Combien de temps cela mettra–t-il ? Car il fait très froid. Lorsqu’on marche ça ne me gêne pas mais te regarder travailler, ce n’est pas trop réchauffant.
- Je ne sais pas trop quoi te répondre, mais il est certain qu’un seul sort ne sera pas suffisant, il ne dure pas très longtemps. Je devrai sûrement en faire trois ou quatre, et on sera donc occupé jusque demain, car je n’en ai pas suffisamment en mémoire.
- Ok, on dresse le camp alors. Zouran, tu t’occupes de l’abri, Balkoth et moi allons chercher du bois, j’ai repéré un sous-bois plut tôt sur le chemin, à une vingtaine de minutes d’ici, autant garder nos forces avec un bon feu bien naturel.
Et ainsi, alors que Conrad creusait la roche avec … ses mains, la transformant en boue au fur et à mesure, nous nous installâmes pour les prochaines vingt-quatre heures. Il continua de creuser durant près d’une heure et ensuite vint nous rejoindre dans l’abri magique, créé par mes soins derrière une saillie de la paroi à quelques dizaines de pas de là où il avait entamé son forage des plus étranges. Il avait l’air contrarié, mais ne semblait pas avoir envie de nous expliquer ce qui le perturbait, aussi nous le laissâmes réfléchir dans son coin sans trop nous intéresser à autre chose qu’à notre dîner, en train de bouillir sur le petit feu de camp, composé de viande de lapin mijotée avec du fenouil et un peu de noix de muscade, accompagnée de jeunes pomme de terres en chemises. Finalement, la douce odeur eut raison de Conrad et il nous rejoint lorsque nous entamâmes le repas qui était léger mais délicieux. Seul le bruit des cuillers raclant contre le fer rugueux des gamelles venait de temps à autre accompagner le concert des mâchoires, travaillant la nourriture, le tout sur un fond de vent de montagne, sifflant en serpentant le long des falaises. Finalement, ce fut Shirley qui rompit ce silence pesant, arrivant à toute allure de l’extérieur. Ce satané chien était trempé et se secoua juste à côté de moi, éclaboussant tout le groupe, provoquant chez Balkoth un hurlement de colère qui aurait pu faire s’écrouler une montagne. Pris de panique, le chien se réfugia derrière moi juste à temps pour éviter la cuiller que Balkoth venait de lui lancer avec furie.
- Je risque d’en avoir pour quelque temps, le pouvoir que m’accorde Sylvanus est fort limité et je dois y recourir à plusieurs reprises pour pouvoir travailler une heure. Je crains de n’arriver à percer la paroi que demain soir.
- Et bien soit, cela permettra aux mages d’être en pleine possession de leurs moyens. Alors bouquinez bien, moi je vais me mettre au travail avec le druide, j’en ai assez de me les geler à ne rien à faire. Et sur ces mots, Balkoth se leva et commença à ôter son armure.
***
Avec l’aide du chevalier Tolgarien, Conrad déplaçait d’avantage de roche et ainsi, le lendemain en fin d’après-midi, il poussa un cri de joie en apercevant un rayon diffus de lumière verdâtre. Redoublant d’ardeur, il dégagea rapidement un passage suffisamment large que pour me permettre de m’y faufiler et je partis en exploration. Je m’avançai dans le boyau s’enfonçant sous le massif rocheux, faisant face à un courant d’air charriant une odeur de renfermé ainsi qu’une autre, plus acre, laissant derrière elle une impression désagréable, une odeur de pourriture, de mort. Et tout en parcourant le tunnel, de multiples questions me vinrent en tête. Qu’allions-nous trouver en ces lieux, y-aurait-il encore des vivants ? Pourquoi la ville était-elle tombée dans l’oubli ? Les nains l’avaient-ils abandonnée ou bien avaient-ils été submergés par une vague d’ennemi ? Tant de mystères et d’énigmes auxquels j’espérais un jour avoir la réponse. Et tout en m’interrogeant sur ces lieux, je débouchai de l’autre côté. Sur la fin, j’avais dû me faufiler, me glisser et me contorsionner dans tous les sens afin de passer, mais j’étais tellement plongé dans mes interrogations que je l’avais fait tel un automate, sans m’en rendre compte. Aussi, arriver en pleine lumière à quatre pattes, ce fut comme de sortir d’un sommeil profond.
Je me tenais contre le bord d’une gigantesque caverne aux parois grises et, par-ci par là, recouvertes de mousse. Les parois répercutaient le calme écoulement de l’eau qui, non loin de moi sur la droite, s’enfonçait sous la roche pour s’écouler au dehors. Etrangement, le tout baignait dans une lumière verdâtre irréelle, me rappelant pour je ne sais quelle raison mon enfance. Laissant la les souvenirs, je me concentrai sur le moment présent. A savoir, le plus vaste aménagement souterrain qui m’ai été donné de voir depuis que j’avais quitté les profondeurs de Blingdenstone, ma ville natale.
Kémalok, cité naine abandonnée au cœur d’une montagne, nichée au creux d’une caverne digne de Blingdenstone. Large de plus de trois cents mètres à vue de nez, s’enfonçant sur au moins sept cents mètres, la grotte regorge de bâtiments aux formes étranges mais fort géométriques dont cinq dont la taille en fait comprendre l’importance par rapport à ce qui semble être des maisons d’habitations. C’est une fois qu’on les voit du dessus qu’on prend pleine conscience du formidable travail des architectes qui oeuvrèrent ici : les bâtiments révèlent alors leurs formes aux yeux adaptés à la pénombre. Ici, une hache de bataille, là un marteau et là encore une enclume. Voilà enfin une enclume que je ne risque pas de me prendre sur le coin du crâne lors d’un de mes si gênants hiatus. Et heureusement, car vu la taille du bâtiment, ce doit être bien lourd ! Pensez donc, une enclume de cinquante mètres de long sur au moins dix de haut, ce qui en fait le plus haut bâtiment après celui qui trône dans le fond de la grotte, le long de la paroi du fond et enjambant la rivière. Sa forme reste un peu mystérieuse pour le moment, caché dans l’obscurité, mais il ne fait nul doute que nous irons y jeter un œil aussi ! Le souvenir douloureux des précédentes enclumes s’étant abîmées sur mon frêle crâne refaisant surface, je m’éloigné instinctivement du bâtiment en forme d’enclume pour remettre pied à terre et rejoindre mes compagnons, terminant de s’extirper du trou pratiqué dans la roche.
Balkoth, haut et fier, enfilait les pièces de sa plate de bataille. Il m’avait semblé que ce genre d’armures, lourdes et encombrantes, n’existaient qu’à titre purement décoratif lors des défilés et autres tournois. Mais voir l’aisance avec laquelle ce petit géant se déplaçait avec tous ce bardas m’avait tôt fait comprendre l’inverse. Et tandis qu’il fixait son poitrail, Tanator pointa le but de son nez fin et étrangement long et courbe à la sortie du tunnel. Ses boucles brunes lui retombaient lourdement sur le visage, chargées de boue et de neige à moitié fondue. Une fois debout, il entreprit de retirer ses épaisses chausses en fourrure de grizzly ainsi que l’épais manteau qui le coupait du vent. Une fois débarrassé de ses couches, il reprit son apparence frêle et gracieuse, sa belle robe rouge écarlate libre d’à nouveau couler le long de son corps, accompagnant le moindre de ses gestes. Sa liberté de mouvement retrouvée, il entreprit de me rejoindre sur le chemin de ronde, non loin de là. Pendant ce temps, Conrad avait émergé du boyau, plus brun que vert, sans doute un problème de gestion des saisons de son corps... Toujours est-il qu’il entreprit de faire comme notre ami l’elfe. Durant ce temps, je fis le compte-rendu de mes observations à voix haute. Balkoth nous rejoint peu avant Conrad et, enfin, nous étions prêt à explorer cette cité n’ayant plus accueillit d’êtres vivants depuis des siècles. Et, comme d’habitude, s’ensuivit le débat de « Par où aller ? »
L’eau de la rivière s’écoulait calmement, l’écho des flots se répercutant de parois en parois. Des gouttes suintaient du plafond, formant ça et là de petites marres. Et seuls ces bruits d’eaux emplissaient l’atmosphère, elle-même glacée et chargée d’humidité. Tout, du silence au froid, rappelait une crypte, un tombeau. Par moment, un croassement ou une gerbe d’eau brisait le silence mais hormis cela… un silence de mort. Même l’air reflétait cette ambiance morbide, charriant une odeur putride, acre, indétectable au début mais qui à la longue restait à l’arrière du nez et avait vite fait de rendre toutes les autres odeurs secondaires. Mais malgré tous ces éléments, aucune trace de bataille, de combat, de lutte, pas même une flèche ou un bouclier ne traînait. De tous ce qu’il y avait sous nos yeux, de tous ce que nous révélaient nos sens, voilà ce qui nous glaçait le plus le sang: rien. Il n’y avait rien ! C’était comme si, avant de partir, les derniers occupants avaient nettoyé de fond en comble, ne laissant que de la poussière pour les futurs visiteurs. Mon esprit gambergeait déjà à toute allure pour tenter de trouver le scénario le plus approprié à ce que avait pu se passer ici. Mais le peu d’élément dont nous disposions n’était pas pour nous aider à trouver une réponse sans aller explorer. Et c’était à ce sujet que nous nous disputions depuis quelques minutes déjà. Conrad désirait retrouver au plus vite la dent de Clanggeddin afin d’être débarrassé de la malédiction infligée par ce mêle-tout de Markalor. Balkoth désirait ardemment aller à la forge afin d’y dénicher quelques trésors de l’artisanat nain. Quant a Tanator et moi-même, peu nous importait, nous étions là en archéologue, comprenez par là en quête de toutes choses susceptible de nous rapporter quelques pièces d’or. Mais le fait que Conrad serait en possession de ses pleins pouvoirs une fois la malédiction levée fut un argument de poids et nous décidâmes finalement de commencer par l’exploration de l’endroit le plus à même d’abriter cet artefact… le temple dédié à Clanggeddin lui-même.
Pour ne pas embrouiller le récit, ceux qui sont intéressés par la ville de Kémalok pourront trouver d’ici quelques temps un récit complet comptant les aventures que nous y vécûmes. Je ne parlerai ici que de ce qui importa pour notre quête concernant l’anneau d’Hiver. Mais sachez qu’à Kémalok se tient un musée de la ville et la dernière partie de ce musée compte la fin de la cité. Voici ce qu’il y est dit.
La ville fut assaillie par une terrible bande de barbares, menée par Torgul la tornade des Landes, un formidable guerrier à la force colossale et aux armes réputées meurtrières, deux haches de bataille aux propriétés magiques fabuleuses. Ses troupes assiégèrent non seulement la cité mais aussi toute la région, bloquant ainsi toute retraite par les passages dérobés. Des dizaines de milliers d’hommes patientèrent alors aux portes de la ville que les nains avaient hermétiquement fermés dès qu’ils avaient eu vent de l’approche des troupes ennemies. Mais après trois mois d’attente, les barbares entreprirent de creuser la roche. Et ainsi, pendant près d’une semaine, les nains attendirent qu’émergent les premiers rangs d’ennemis. Ils les mirent en pièce mais, une fois ouverte, la voie ne cessa de déverser ses flots de barbares, appâtés par l’or, les armes légendaires et autres gemmes. Les braves nains combattirent aussi longtemps qu’ils purent mais au bout d’une semaine de rudes combats de rue, seul le palais offrait encore de la résistance. Et sous les yeux des derniers survivants, la ville fut mise à sac. Ce qu’il advint ensuite, nul ne le sait mais d’après ce que nous avons découvert sur place, le palais tomba aux mains des barbares et Torgul se fit faire une salle du trône là où aurait du être enterré le roi actuel. La ville fut fouillée de fond en comble et toutes les richesses furent distribuées aux survivants. Seulement, on ne sait pas encore comment, les murs de la montagne se refermèrent et les barbares furent pris au piège…
Chapitre 7
Kémalok la perdue
Quelque part au nord de Mirabar
Vu d’en haut, Balkoth se résumait à une tache grisâtre, floue, alors que Tanator et Conrad étaient respectivement rouge et vert, visibles par intermittence, selon les désirs du vent, jouant avec les branches des hauts pins de la clairière. Les nuages, d’un gris tendre mais opaque, s’étendaient à perte de vue vers le sud et, plus au nord, semblaient être blancs mais, étrangement, la démarcation entre les deux était nette, comme tracée à la craie. Les deux cours d’eau s’unissaient en un seul sous moi et je distinguais clairement son parcours entre les frondaisons. La rivière venant de l’ouest semblait se perdre, au loin, dans la forêt alors que celle venant du nord pointait vers un massif plus gris que le sol, imposant, bouchant la vue. Et, sous le couvert des arbres, se glissait l’eau, sombre chemin serpentant, la surface ridée sous l’effet des bourrasques de vent. Le vent ce matin là était assez fort, aussi avais-je fait usage d’un sort de vol afin de quitter le sol et ainsi pouvoir guider mes amis vers cette cité perdue. C’était bien plus prudent que de risquer la vie de l’un de nous en grimpant à un des pins, hauts mais frêles.
Le vent faisant bouger les nuages rapidement, je décidai d’attendre un peu afin de mieux distinguer ce qui se cachait au nord. Mon nez ne coulait plus, alors que la veille encore je passais mon temps à passer ma manche sous les narines pour absorber cette satanée goutte. Ce miracle, je le devais à la bise, glacée depuis ce matin, qui m’avait figé la morve au nez. Mais malgré mon attente, les nuages ne daignaient pas bouger et l’impatience de Balkoth semblait se faire grandissante car, par moment, j’entendais sa voix rauque hurler mon nom, aussi je décidai d’abandonner mes observations et de remettre les pieds sur la plancher des vaches. Tout en me triturant le bout du nez afin d’ôter ce petit glaçon, je redescendis au sol, et après avoir fait un rapide résumé de mes observations, nous reprîmes notre longue marche, combat de tous les instants contre les éléments.
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- J’espère que tu sais où tu nous emmènes Conrad. Tu sais bien que j’ai du mal à vous suivre, alors t’as intérêt à ce que ce soit le bon chemin !
Je ne sus jamais s’il m’avait entendu, mais en tout cas, il ne se retourna pas pour me répondre, et je replongeai dans mes pensées, cerné par les flocons et les cris du vent. La paisible forêt avait laissé place à un terrain beaucoup plus ardu et ne cessait de gagner en inclinaison. Nous longions la rivière qui de large cours d’eau paisible était passée à l’état de furieux rapide, zigzaguant entre les rochers de la montagne. Heureusement que mon épais manteau me protégeait efficacement sinon j’aurais déjà fait demi-tour depuis longtemps et aurais ainsi retrouvé un ciel plus clément. Mais bon, je ne pouvais laisser le druide avec cette malédiction et surtout, il nous fallait trouver des fonds pour notre future grande entreprise… L’Anneau nous coûterait une fortune, je le savais bien, mais nous ne pouvions le laisser tomber entre de mauvaises mains. Et avec Auril et Loviatar à nos trousses, nous devions faire vite.
Et ainsi, plongés dans mes multiples pensées, les journées passaient rapidement et, malgré les conditions météos peu favorables, Conrad s’avéra être un bon guide. Le soir, il entrait en transe afin d’attirer à lui les animaux et pouvait ainsi se mettre au courant des endroits difficiles, des coins à éviter ou, par moment, faisait cela tout simplement pour passer le temps. La nature se présentait ainsi comme un précieux allié, et je suis certain que nul n’y aurait pensé, si ce n’est justement le druide car qui, de prime abord, penserait qu’un tel endroit, si désolé et si dénudé, puisse servir d’abri à quelqu’animal que ce soit ? Et ce soir là, après un échange avec un mouflon à l’entrée de la grotte où nous avions trouvé refuge, Conrad se tourna vers nous, un sourire ornant son visage fatigué à la barbe hirsute et touffue.
- Demain, nous serons arrivés à destination. La rivière s’enfonce dans la montagne un peu plus au nord. Ce soir, nous pouvons dormir en paix, il n’y a pas d’animal en chasse sur ces terres.
- Si cela ne te dérange pas, je préfère tout même prendre mes précautions. Et l’elfe se leva, farfouillant dans les bourses suspendues à sa robe écarlate. S’étant assez approché de l’ouverture de la caverne à son goût, il se pencha sur la paroi, et y répandit une fine poudre, tout en murmurant des phrases dont le sens serait tout à fait incompréhensible pour quelqu’un de non-initié aux obscurs savoirs de la magie. Et après quelques secondes passées à marmonner et saupoudrer le sol de l’entrée et les parois y attenantes, il termina sur une grande arabesque qui eut pour effet de produire un petit flash lumineux et de lui dessiner un léger sourire en coin.
- Les pièges à tonton Tanator, ils piègent même ceux qu’ils sont censés protéger, noyé dans un torrent de flammes ! Dis-je, hilare.
- Oui, surtout les gnomes qui parlent trop, n’est-ce pas Zouran ?
- Ouais euh bon, réveillez-moi un peu avant l’aube, je prendrai le relais.
- Zouran, l’aube est dans plus de 10 heures…
- Bein quoi, on peut essayer, nan ? Bon j’prends le premier quart, à tantôt les gars.
Mon tour de garde se passa sans encombre et je pus griffonner de nouvelles idées dans mon carnet de voyage sans avoir à lever le nez de mes notes. Lorsque je n’arrivai plus à garder les yeux ouverts, je m’en allai réveiller Balkoth, roulé en boule dans ses couvertures. Un petit nuage s’échappait de sa bouche au rythme de sa respiration mais lorsque je m’approchai de lui, cela cessa, aussi compris-je qu’il était d’ores et déjà réveillé. Il me tendit une de ses couvertures, déjà bien chaude, et s’en alla en silence à l’entrée de la grotte. La dernière chose que je vis avant de plonger dans le sommeil fut celle de ce grand gaillard aux cheveux sombres, en broussaille, se rasant la barbe au poignard, adossé à la paroi.
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Au réveil, tout le monde était là : Tanator, le nez dans son grimoire aux teintes dégradées de rouges et orangés entremêlées en d’innombrables courbes, Conrad, couché face contre terre et Balkoth, réchauffant des morceaux de viande sur les braises du feu de veille. Je décidai d’avaler un morceau de pain gris et de ne pas attendre d’avantage pour me plonger dans l’étude de mes sorts. L’ambiance, calme, était propice à l’étude aussi je pus rapidement replonger mon tas de parchemins au fond du sac pour aider Balkoth à vider les écuelles de lard et de pain rassis et ainsi engloutir la ration du papy verdâtre. Tout en dévorant mon plat, je gardais le regard rivé sur l’écuelle de Tanator, placée sur les braises, et finalement, sans doute car il ne savait pas comment me le faire savoir, Balkoth se leva, prétextant une envie urgente, et s’en alla hors de la grotte, me laissant à ma proie du matin. Conrad et Monsieur Boule-de-Feu ne remarquèrent jamais la disparition de leurs déjeuners car je n’avais pas encore fini qu’ils vinrent ranger leurs affaires tout en me demandant de me dépêcher car la journée serait longue… De toute façon, il me semble normal que je mange plus qu’eux puisque c’est moi qui aie le plus de pas à faire pour couvrir les distances que nous devons parcourir !
***
Effectivement, nous parvînmes assez rapidement à l’endroit où le cours d’eau émergeait des profondeurs de la montagne. Une eau limpide et fraîche coulait rageusement entre deux pierres aplanies par le temps, s’avançait d’abord fièrement vers l’à-pic pour finalement s’y jeter en un grand fracas ininterrompu, mais comme pour cacher sa honte de tomber si bruyamment en un endroit si calme, la chute se camouflait derrière un épais nuage de bruine. La rivière faisait cinq bons mètres de large à sa sortie de la montagne et son lit était recouvert de galets, arrondis par le passage incessant de l’eau. Et mis à part cette rivière, il n’y avait rien. Pas la moindre trace d’une ville qui serrait cachée dans les entrailles de l’imposant massif !
Conrad alla s’appuyer contre la haute muraille, mur apparemment naturel surplombant l’abîme, commença à la tâter et j’allai rapidement le rejoindre car, après tout, je suis le seul ayant vécu sous terre parmi cette petite bande de gais lurons. Mais nous eûmes beau tâter, frapper ou observer la paroi, rien ne laissait paraître qu’auparavant, ici, se trouvait une ville. Alors, une fois de plus, Conrad se mit à genoux dans la neige, ferma les yeux et fredonna quelques douces paroles en une langue étrange, calme comme le fleuve et douce comme le miel. Ce faisant, il avait approché ses mains de la paroi et d’un coup, elles pénétrèrent la roche, passant au travers, sans déformer la pierre. Et petit à petit, il s’enfonçait, sans effort apparent, pour finalement entièrement disparaître dans le mur. Quelque peu étonnés par cette démonstration, nous ne dîmes rien, et quelques longues secondes plus tard, la tête de Conrad émergea de la roche. Toujours concentré sur sa tâche, il ne nous dit rien, sorti du mur et entonna une autre prière, sur le même ton que la précédente, douce et grave à la fois. Cette fois-ci, le résultat fut bien différent, car lorsqu’il eu joint les mains devant son torse, elles semblèrent prendre un aspect beaucoup plus foncé, sombre, et aussitôt les précipita–t-il en direction de la roche. A leur tour, elles s’enfoncèrent dans la roche et après avoir farfouillé dedans, elles ressortirent, toute boueuse, tenant une grande quantité de ce qui semblait être de la boue.
- Pas bête, mais nous allons-y passer pas mal de temps avec cette technique, commentai-je.
- Je ne dispose pas d’un autre moyen pour l’instant Zouran, il faudra nous en contenter, à moins que tu n’aies sous la main un bélier capable de faire s’effondrer ce rocher de plus de trois mètres d’épaisseur ?
- Combien de temps cela mettra–t-il ? Car il fait très froid. Lorsqu’on marche ça ne me gêne pas mais te regarder travailler, ce n’est pas trop réchauffant.
- Je ne sais pas trop quoi te répondre, mais il est certain qu’un seul sort ne sera pas suffisant, il ne dure pas très longtemps. Je devrai sûrement en faire trois ou quatre, et on sera donc occupé jusque demain, car je n’en ai pas suffisamment en mémoire.
- Ok, on dresse le camp alors. Zouran, tu t’occupes de l’abri, Balkoth et moi allons chercher du bois, j’ai repéré un sous-bois plut tôt sur le chemin, à une vingtaine de minutes d’ici, autant garder nos forces avec un bon feu bien naturel.
Et ainsi, alors que Conrad creusait la roche avec … ses mains, la transformant en boue au fur et à mesure, nous nous installâmes pour les prochaines vingt-quatre heures. Il continua de creuser durant près d’une heure et ensuite vint nous rejoindre dans l’abri magique, créé par mes soins derrière une saillie de la paroi à quelques dizaines de pas de là où il avait entamé son forage des plus étranges. Il avait l’air contrarié, mais ne semblait pas avoir envie de nous expliquer ce qui le perturbait, aussi nous le laissâmes réfléchir dans son coin sans trop nous intéresser à autre chose qu’à notre dîner, en train de bouillir sur le petit feu de camp, composé de viande de lapin mijotée avec du fenouil et un peu de noix de muscade, accompagnée de jeunes pomme de terres en chemises. Finalement, la douce odeur eut raison de Conrad et il nous rejoint lorsque nous entamâmes le repas qui était léger mais délicieux. Seul le bruit des cuillers raclant contre le fer rugueux des gamelles venait de temps à autre accompagner le concert des mâchoires, travaillant la nourriture, le tout sur un fond de vent de montagne, sifflant en serpentant le long des falaises. Finalement, ce fut Shirley qui rompit ce silence pesant, arrivant à toute allure de l’extérieur. Ce satané chien était trempé et se secoua juste à côté de moi, éclaboussant tout le groupe, provoquant chez Balkoth un hurlement de colère qui aurait pu faire s’écrouler une montagne. Pris de panique, le chien se réfugia derrière moi juste à temps pour éviter la cuiller que Balkoth venait de lui lancer avec furie.
- Je risque d’en avoir pour quelque temps, le pouvoir que m’accorde Sylvanus est fort limité et je dois y recourir à plusieurs reprises pour pouvoir travailler une heure. Je crains de n’arriver à percer la paroi que demain soir.
- Et bien soit, cela permettra aux mages d’être en pleine possession de leurs moyens. Alors bouquinez bien, moi je vais me mettre au travail avec le druide, j’en ai assez de me les geler à ne rien à faire. Et sur ces mots, Balkoth se leva et commença à ôter son armure.
***
Avec l’aide du chevalier Tolgarien, Conrad déplaçait d’avantage de roche et ainsi, le lendemain en fin d’après-midi, il poussa un cri de joie en apercevant un rayon diffus de lumière verdâtre. Redoublant d’ardeur, il dégagea rapidement un passage suffisamment large que pour me permettre de m’y faufiler et je partis en exploration. Je m’avançai dans le boyau s’enfonçant sous le massif rocheux, faisant face à un courant d’air charriant une odeur de renfermé ainsi qu’une autre, plus acre, laissant derrière elle une impression désagréable, une odeur de pourriture, de mort. Et tout en parcourant le tunnel, de multiples questions me vinrent en tête. Qu’allions-nous trouver en ces lieux, y-aurait-il encore des vivants ? Pourquoi la ville était-elle tombée dans l’oubli ? Les nains l’avaient-ils abandonnée ou bien avaient-ils été submergés par une vague d’ennemi ? Tant de mystères et d’énigmes auxquels j’espérais un jour avoir la réponse. Et tout en m’interrogeant sur ces lieux, je débouchai de l’autre côté. Sur la fin, j’avais dû me faufiler, me glisser et me contorsionner dans tous les sens afin de passer, mais j’étais tellement plongé dans mes interrogations que je l’avais fait tel un automate, sans m’en rendre compte. Aussi, arriver en pleine lumière à quatre pattes, ce fut comme de sortir d’un sommeil profond.
Je me tenais contre le bord d’une gigantesque caverne aux parois grises et, par-ci par là, recouvertes de mousse. Les parois répercutaient le calme écoulement de l’eau qui, non loin de moi sur la droite, s’enfonçait sous la roche pour s’écouler au dehors. Etrangement, le tout baignait dans une lumière verdâtre irréelle, me rappelant pour je ne sais quelle raison mon enfance. Laissant la les souvenirs, je me concentrai sur le moment présent. A savoir, le plus vaste aménagement souterrain qui m’ai été donné de voir depuis que j’avais quitté les profondeurs de Blingdenstone, ma ville natale.
Kémalok, cité naine abandonnée au cœur d’une montagne, nichée au creux d’une caverne digne de Blingdenstone. Large de plus de trois cents mètres à vue de nez, s’enfonçant sur au moins sept cents mètres, la grotte regorge de bâtiments aux formes étranges mais fort géométriques dont cinq dont la taille en fait comprendre l’importance par rapport à ce qui semble être des maisons d’habitations. C’est une fois qu’on les voit du dessus qu’on prend pleine conscience du formidable travail des architectes qui oeuvrèrent ici : les bâtiments révèlent alors leurs formes aux yeux adaptés à la pénombre. Ici, une hache de bataille, là un marteau et là encore une enclume. Voilà enfin une enclume que je ne risque pas de me prendre sur le coin du crâne lors d’un de mes si gênants hiatus. Et heureusement, car vu la taille du bâtiment, ce doit être bien lourd ! Pensez donc, une enclume de cinquante mètres de long sur au moins dix de haut, ce qui en fait le plus haut bâtiment après celui qui trône dans le fond de la grotte, le long de la paroi du fond et enjambant la rivière. Sa forme reste un peu mystérieuse pour le moment, caché dans l’obscurité, mais il ne fait nul doute que nous irons y jeter un œil aussi ! Le souvenir douloureux des précédentes enclumes s’étant abîmées sur mon frêle crâne refaisant surface, je m’éloigné instinctivement du bâtiment en forme d’enclume pour remettre pied à terre et rejoindre mes compagnons, terminant de s’extirper du trou pratiqué dans la roche.
Balkoth, haut et fier, enfilait les pièces de sa plate de bataille. Il m’avait semblé que ce genre d’armures, lourdes et encombrantes, n’existaient qu’à titre purement décoratif lors des défilés et autres tournois. Mais voir l’aisance avec laquelle ce petit géant se déplaçait avec tous ce bardas m’avait tôt fait comprendre l’inverse. Et tandis qu’il fixait son poitrail, Tanator pointa le but de son nez fin et étrangement long et courbe à la sortie du tunnel. Ses boucles brunes lui retombaient lourdement sur le visage, chargées de boue et de neige à moitié fondue. Une fois debout, il entreprit de retirer ses épaisses chausses en fourrure de grizzly ainsi que l’épais manteau qui le coupait du vent. Une fois débarrassé de ses couches, il reprit son apparence frêle et gracieuse, sa belle robe rouge écarlate libre d’à nouveau couler le long de son corps, accompagnant le moindre de ses gestes. Sa liberté de mouvement retrouvée, il entreprit de me rejoindre sur le chemin de ronde, non loin de là. Pendant ce temps, Conrad avait émergé du boyau, plus brun que vert, sans doute un problème de gestion des saisons de son corps... Toujours est-il qu’il entreprit de faire comme notre ami l’elfe. Durant ce temps, je fis le compte-rendu de mes observations à voix haute. Balkoth nous rejoint peu avant Conrad et, enfin, nous étions prêt à explorer cette cité n’ayant plus accueillit d’êtres vivants depuis des siècles. Et, comme d’habitude, s’ensuivit le débat de « Par où aller ? »
L’eau de la rivière s’écoulait calmement, l’écho des flots se répercutant de parois en parois. Des gouttes suintaient du plafond, formant ça et là de petites marres. Et seuls ces bruits d’eaux emplissaient l’atmosphère, elle-même glacée et chargée d’humidité. Tout, du silence au froid, rappelait une crypte, un tombeau. Par moment, un croassement ou une gerbe d’eau brisait le silence mais hormis cela… un silence de mort. Même l’air reflétait cette ambiance morbide, charriant une odeur putride, acre, indétectable au début mais qui à la longue restait à l’arrière du nez et avait vite fait de rendre toutes les autres odeurs secondaires. Mais malgré tous ces éléments, aucune trace de bataille, de combat, de lutte, pas même une flèche ou un bouclier ne traînait. De tous ce qu’il y avait sous nos yeux, de tous ce que nous révélaient nos sens, voilà ce qui nous glaçait le plus le sang: rien. Il n’y avait rien ! C’était comme si, avant de partir, les derniers occupants avaient nettoyé de fond en comble, ne laissant que de la poussière pour les futurs visiteurs. Mon esprit gambergeait déjà à toute allure pour tenter de trouver le scénario le plus approprié à ce que avait pu se passer ici. Mais le peu d’élément dont nous disposions n’était pas pour nous aider à trouver une réponse sans aller explorer. Et c’était à ce sujet que nous nous disputions depuis quelques minutes déjà. Conrad désirait retrouver au plus vite la dent de Clanggeddin afin d’être débarrassé de la malédiction infligée par ce mêle-tout de Markalor. Balkoth désirait ardemment aller à la forge afin d’y dénicher quelques trésors de l’artisanat nain. Quant a Tanator et moi-même, peu nous importait, nous étions là en archéologue, comprenez par là en quête de toutes choses susceptible de nous rapporter quelques pièces d’or. Mais le fait que Conrad serait en possession de ses pleins pouvoirs une fois la malédiction levée fut un argument de poids et nous décidâmes finalement de commencer par l’exploration de l’endroit le plus à même d’abriter cet artefact… le temple dédié à Clanggeddin lui-même.
Pour ne pas embrouiller le récit, ceux qui sont intéressés par la ville de Kémalok pourront trouver d’ici quelques temps un récit complet comptant les aventures que nous y vécûmes. Je ne parlerai ici que de ce qui importa pour notre quête concernant l’anneau d’Hiver. Mais sachez qu’à Kémalok se tient un musée de la ville et la dernière partie de ce musée compte la fin de la cité. Voici ce qu’il y est dit.
La ville fut assaillie par une terrible bande de barbares, menée par Torgul la tornade des Landes, un formidable guerrier à la force colossale et aux armes réputées meurtrières, deux haches de bataille aux propriétés magiques fabuleuses. Ses troupes assiégèrent non seulement la cité mais aussi toute la région, bloquant ainsi toute retraite par les passages dérobés. Des dizaines de milliers d’hommes patientèrent alors aux portes de la ville que les nains avaient hermétiquement fermés dès qu’ils avaient eu vent de l’approche des troupes ennemies. Mais après trois mois d’attente, les barbares entreprirent de creuser la roche. Et ainsi, pendant près d’une semaine, les nains attendirent qu’émergent les premiers rangs d’ennemis. Ils les mirent en pièce mais, une fois ouverte, la voie ne cessa de déverser ses flots de barbares, appâtés par l’or, les armes légendaires et autres gemmes. Les braves nains combattirent aussi longtemps qu’ils purent mais au bout d’une semaine de rudes combats de rue, seul le palais offrait encore de la résistance. Et sous les yeux des derniers survivants, la ville fut mise à sac. Ce qu’il advint ensuite, nul ne le sait mais d’après ce que nous avons découvert sur place, le palais tomba aux mains des barbares et Torgul se fit faire une salle du trône là où aurait du être enterré le roi actuel. La ville fut fouillée de fond en comble et toutes les richesses furent distribuées aux survivants. Seulement, on ne sait pas encore comment, les murs de la montagne se refermèrent et les barbares furent pris au piège…