Alexandr Vondra, le vice-premier ministre tchèque, l'a reconnu lors de l'inauguration de l'oeuvre, jeudi 15 janvier à Bruxelles : la sculpture mise en place par la présidence tchèque de l'Union dans le saint des saints du pouvoir européen, le bâtiment du Conseil, "est une provocation".
Baptisée Entropa, l'oeuvre a été conçue par l'artiste tchèque David Cerny, un habitué de ce registre. Sur un panneau de 25 mètres de côté, l'artiste mélange humour noir et autodérision pour moquer des préjugés qui ont la vie dure en Europe. La carte de France est barrée d'une banderole "Grève". L'Allemagne est traversée d'autoroutes, selon un vague plan en forme de croix gammée. Les Italiens apparaissent en joueurs de football obsédés par leur ballon/cache-sexe. En Pologne, des prêtres en soutane brandissent le drapeau arc-en-ciel de la communauté homosexuelle. Les Pays-Bas sont noyés sous les flots, d'où n'émergent que des minarets. Le Royaume-Uni n'est même pas représenté, comme pour moquer la distance qu'il cultive vis-à-vis du continent. Quant à la République tchèque, c'est un écran vidéo où défilent les commentaires les plus cinglants assénés par son très eurosceptique président, Vaclav Klaus.
La sculpture ne passe pas inaperçue à Bruxelles, où chaque pays cherche à soigner sa réputation. Depuis le début de la semaine, hauts fonctionnaires et visiteurs se divisent en deux camps : ceux qui considèrent que l'ensemble est une bouffée d'air frais, et ceux qui goûtent peu le sens de l'humour revendiqué par la présidence tchèque. La Bulgarie, représentée sous forme de w.-c. à la turque, exige le retrait de son module. "S'ils veulent vraiment que nous le retirions, nous respecterons (ce souhait)", a assuré M. Vondra. Face aux diplomates les plus remontés, le vice-premier ministre tchèque a dû présenter ses "excuses", mais il n'envisage pas de démonter l'ensemble. "Vingt ans après la chute du mur, il n'y a pas de place pour la censure en Europe", a dit cet ancien proche de Vaclav Havel.
Un peu dépassé par la polémique, David Cerny a précisé qu'il s'agissait d'un simple "canular". L'auteur a indiqué qu'il avait lui-même "trompé" les autorités tchèques : la sculpture n'a pas été réalisée par des artistes des vingt-sept pays membres, contrairement à ce qui avait été annoncé. Elle est le fruit du délire d'une petite équipe rassemblée autour de lui.
Philippe Ricard (Source Le monde)