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"Dès le mois d’août, Yves Leterme et Didier Reynders étaient au courant de la vraie situation de Fortis”, selon L’ASBL Dolor. Retrouvez notre dossier complet dans “Le Soir magazine” de cette semaine.
JEAN-FREDERICK DELIEGE
C’était le 26 avril 2007. Euphorique, le top management de Fortis annonçait qu’il rachetait le hollandais ABN Amro avec l’aide de Banco Santander et de la Royal Bank of Scotland. La facture ? Septante et un milliards d’euros dont vingt-quatre pour Fortis. Quelques voix s’élèveront bien, de-ci de-là, pour critiquer cet achat en expliquant que Fortis voyait trop grand. Mais ces critiques seront balayées d’un revers de main par le comte Maurice Lippens, apôtre de l’expansion à tout prix, qui tient la destinée de Fortis dans une main de fer. Le 6 août suivant, l’assemblée générale de Fortis, endormie par les commentaires et les affirmations lénifiants du management, approuve une augmentation de capital de 13.4 milliards. Augmentation qui sera réalisée en septembre et octobre et connaîtra un réel succès. La direction de Fortis continue de planer sur son nuage d’autosatisfaction et, pourtant, c’est cette augmentation de capital qui va causer la perte du fleuron de la bancassurance belge. Car pour arriver à leurs fins, Maurice Lippens et ses “Lippens boys” ont usé de moyens peu avouables et, surtout, ils ont menti à leurs actionnaires, petits et grands. Une faute, un crime impardonnable d’autant plus qu’il émane d’un homme jusque-là respecté par le monde de la finance, par la classe politique, proche du palais royal et à qui des dizaines de milliers de Belges avaient confié, les yeux fermés, leur fortune en tout ou en partie, petite ou grande. Mais le comte Lippens, puisque c’est de lui qu’on parle, qui se tait aujourd’hui dans toutes les langues, n’a guère de soucis à se faire. Selon Ludwig Verduyn, journaliste et éminent spécialiste des grandes fortunes belges, la famille Lippens aurait perdu 270 millions dans la débâcle de Fortis. Une somme colossale mais à relativiser puisqu’il lui reste 308 millions dans sa cagnotte pour se remettre en selle. Guère de soucis, disions-nous, sur le plan financier. Par contre, au niveau judiciaire, les choses se sont accélérées ces derniers jours et Maurice Lippens est clairement devenu une cible.
La plainte dans un tiroir
Cela ne fait plus de doute pour personne. Même le quotidien financier “L’Echo” en a fait sa manchette. “Maurice Lippens bientôt entendu par la justice” n’hésitait-il pas à titrer sur quatre colonnes à la une, il y a tout juste une semaine. Et, en effet, le parquet de Bruxelles s’est, enfin, réveillé dans cette affaire. Certes, il avait mis un dossier à l’information depuis quelque temps mais on conviendra que c’était faire preuve d’une grande timidité que de lancer une telle enquête avec une poignée de policiers et sans juge d’instruction. Pourtant, dès le 10 octobre, l’asbl Dolor, spécialisée dans la défense des actionnaires et des clients grugés par les banques, lui avait tendu une belle perche. L’un des membres de l’association, cadre supérieur prépensionné de chez Fortis, était venu déposer plainte, avec constitution de partie civile, dans les mains du juge d’instruction de garde. « Mais, nous explique Hendrik Boonen, président de Dolor, nous n’avons plus jamais eu de nouvelles de ce magistrat. Il a fallu que, quinze jours plus tard, un journaliste du quotidien économique “De Tijd” se renseigne auprès du parquet de Bruxelles pour savoir ce qu’il en était de cette instruction pour que nous apprenions que le dossier dormait au fond d’un tiroir ! Aucune instruction n’avait été ouverte. » Incroyable mais vrai. Et comme toujours, la presse s’étant emparée de l’affaire, il n’aura fallu que vingt-quatre heures pour décider de confier l’ensemble du dossier Fortis au juge d’instruction financier Jeroen Burm. Un magistrat qui s’est empressé de réclamer une centaine d’enquêteurs vu l’ampleur de la tâche qui l’attendait. Selon le porte-parole du parquet de Bruxelles, Jos Colpin, l’enquête porte sur « le fait que les responsables de Fortis auraient donné des renseignements inexacts sur la liquidité et la solvabilité de Fortis afin de parvenir à convaincre les gens de souscrire à l’augmentation de capital réalisée en septembre et octobre 2007 ». On ne peut pas être plus clair. Et, pour bien cadrer les choses, ajoutons que cette action pénale se fonde, en partie, sur une violation présumée de l’article 649 du code des sociétés qui dit, en substance, que seront condamnés pour escroquerie tous ceux qui ont provoqué l’achat d’actions en diffusant des informations qui s’avèrent être fausses.
Anomalies dans la comptabilité
Nous voilà donc au cœur du dossier Fortis et de la plainte déposée par cet ancien cadre du bancassureur. Pourquoi celui-ci a-t-il déposé plainte ? Tout d’abord parce qu’une asbl, telle que Dolor, ne peut elle-même déposer plainte, c’est la loi. « Et puis, nous explique Hendrik Boonen, ce monsieur qui vient d’être prépensionné devait percevoir à 65 ans sa pension extra-légale qui, aujourd’hui, ne vaut plus rien ». Comme beaucoup d’employés et cadres de Fortis, ajouterons-nous, qui, depuis des années, recevaient des bonus en actions de leur société, quand on ne les encourageait pas fermement à utiliser leur épargne pour acheter des actions à des prix intéressants. « C’est sûrement ce qui explique, nous confie Hendrik Boonen, le fait que nous recevons énormément d’informations de la part de personnes qui travaillent ou ont travaillé chez Fortis. Nous avons ainsi été en contact avec des membres de la direction qui nous ont raconté bien des choses et je peux vous dire qu’ils attendent les enquêteurs avec impatience et de pied ferme. Certains d’entre eux détiennent des documents qu’ils nous ont montrés et qu’ils transmettront directement à la justice si nécessaire. » Fantasme du président Boonen ? Provocation ? Il n’empêche que c’est quand même sur base du dossier constitué par l’asbl Dolor que l’affaire a été mise à l’instruction. Qu’y-a-t-il dans ce dossier ? « Nos avocats nous ont demandé de rester discrets là-dessus », nous répond Hendrik Boonen. Compréhensible : l’enjeu est de taille et des rumeurs de nettoyage informatique parviennent déjà aux oreilles de l’asbl Dolor qui reçoit des dizaines de mails par jour. Une chose est sûre, toutefois, l’ancien cadre de Fortis qui a déposé plainte n’avait pas en main que des documents qui lui appartenaient. En effet, Dolor reçoit des documents et des informations, concernant des anomalies dans la comptabilité de Fortis, depuis le mois d’avril 2007, date du rachat d’ABN Amro. À plusieurs reprises, son président a tenté de poser des questions lors d’assemblées des actionnaires et on lui a toujours refusé le droit de prendre la parole. À plusieurs reprises, il a tenté, documents en mains, d’approcher Maurice Lippens et son fidèle Herman Verwilst, pour en discuter avec eux mais on l’en a toujours empêché. Sans parler de ses lettres ouvertes qui sont restées sans suite."
"Dès le mois d’août, Yves Leterme et Didier Reynders étaient au courant de la vraie situation de Fortis”, selon L’ASBL Dolor. Retrouvez notre dossier complet dans “Le Soir magazine” de cette semaine.
JEAN-FREDERICK DELIEGE
C’était le 26 avril 2007. Euphorique, le top management de Fortis annonçait qu’il rachetait le hollandais ABN Amro avec l’aide de Banco Santander et de la Royal Bank of Scotland. La facture ? Septante et un milliards d’euros dont vingt-quatre pour Fortis. Quelques voix s’élèveront bien, de-ci de-là, pour critiquer cet achat en expliquant que Fortis voyait trop grand. Mais ces critiques seront balayées d’un revers de main par le comte Maurice Lippens, apôtre de l’expansion à tout prix, qui tient la destinée de Fortis dans une main de fer. Le 6 août suivant, l’assemblée générale de Fortis, endormie par les commentaires et les affirmations lénifiants du management, approuve une augmentation de capital de 13.4 milliards. Augmentation qui sera réalisée en septembre et octobre et connaîtra un réel succès. La direction de Fortis continue de planer sur son nuage d’autosatisfaction et, pourtant, c’est cette augmentation de capital qui va causer la perte du fleuron de la bancassurance belge. Car pour arriver à leurs fins, Maurice Lippens et ses “Lippens boys” ont usé de moyens peu avouables et, surtout, ils ont menti à leurs actionnaires, petits et grands. Une faute, un crime impardonnable d’autant plus qu’il émane d’un homme jusque-là respecté par le monde de la finance, par la classe politique, proche du palais royal et à qui des dizaines de milliers de Belges avaient confié, les yeux fermés, leur fortune en tout ou en partie, petite ou grande. Mais le comte Lippens, puisque c’est de lui qu’on parle, qui se tait aujourd’hui dans toutes les langues, n’a guère de soucis à se faire. Selon Ludwig Verduyn, journaliste et éminent spécialiste des grandes fortunes belges, la famille Lippens aurait perdu 270 millions dans la débâcle de Fortis. Une somme colossale mais à relativiser puisqu’il lui reste 308 millions dans sa cagnotte pour se remettre en selle. Guère de soucis, disions-nous, sur le plan financier. Par contre, au niveau judiciaire, les choses se sont accélérées ces derniers jours et Maurice Lippens est clairement devenu une cible.
La plainte dans un tiroir
Cela ne fait plus de doute pour personne. Même le quotidien financier “L’Echo” en a fait sa manchette. “Maurice Lippens bientôt entendu par la justice” n’hésitait-il pas à titrer sur quatre colonnes à la une, il y a tout juste une semaine. Et, en effet, le parquet de Bruxelles s’est, enfin, réveillé dans cette affaire. Certes, il avait mis un dossier à l’information depuis quelque temps mais on conviendra que c’était faire preuve d’une grande timidité que de lancer une telle enquête avec une poignée de policiers et sans juge d’instruction. Pourtant, dès le 10 octobre, l’asbl Dolor, spécialisée dans la défense des actionnaires et des clients grugés par les banques, lui avait tendu une belle perche. L’un des membres de l’association, cadre supérieur prépensionné de chez Fortis, était venu déposer plainte, avec constitution de partie civile, dans les mains du juge d’instruction de garde. « Mais, nous explique Hendrik Boonen, président de Dolor, nous n’avons plus jamais eu de nouvelles de ce magistrat. Il a fallu que, quinze jours plus tard, un journaliste du quotidien économique “De Tijd” se renseigne auprès du parquet de Bruxelles pour savoir ce qu’il en était de cette instruction pour que nous apprenions que le dossier dormait au fond d’un tiroir ! Aucune instruction n’avait été ouverte. » Incroyable mais vrai. Et comme toujours, la presse s’étant emparée de l’affaire, il n’aura fallu que vingt-quatre heures pour décider de confier l’ensemble du dossier Fortis au juge d’instruction financier Jeroen Burm. Un magistrat qui s’est empressé de réclamer une centaine d’enquêteurs vu l’ampleur de la tâche qui l’attendait. Selon le porte-parole du parquet de Bruxelles, Jos Colpin, l’enquête porte sur « le fait que les responsables de Fortis auraient donné des renseignements inexacts sur la liquidité et la solvabilité de Fortis afin de parvenir à convaincre les gens de souscrire à l’augmentation de capital réalisée en septembre et octobre 2007 ». On ne peut pas être plus clair. Et, pour bien cadrer les choses, ajoutons que cette action pénale se fonde, en partie, sur une violation présumée de l’article 649 du code des sociétés qui dit, en substance, que seront condamnés pour escroquerie tous ceux qui ont provoqué l’achat d’actions en diffusant des informations qui s’avèrent être fausses.
Anomalies dans la comptabilité
Nous voilà donc au cœur du dossier Fortis et de la plainte déposée par cet ancien cadre du bancassureur. Pourquoi celui-ci a-t-il déposé plainte ? Tout d’abord parce qu’une asbl, telle que Dolor, ne peut elle-même déposer plainte, c’est la loi. « Et puis, nous explique Hendrik Boonen, ce monsieur qui vient d’être prépensionné devait percevoir à 65 ans sa pension extra-légale qui, aujourd’hui, ne vaut plus rien ». Comme beaucoup d’employés et cadres de Fortis, ajouterons-nous, qui, depuis des années, recevaient des bonus en actions de leur société, quand on ne les encourageait pas fermement à utiliser leur épargne pour acheter des actions à des prix intéressants. « C’est sûrement ce qui explique, nous confie Hendrik Boonen, le fait que nous recevons énormément d’informations de la part de personnes qui travaillent ou ont travaillé chez Fortis. Nous avons ainsi été en contact avec des membres de la direction qui nous ont raconté bien des choses et je peux vous dire qu’ils attendent les enquêteurs avec impatience et de pied ferme. Certains d’entre eux détiennent des documents qu’ils nous ont montrés et qu’ils transmettront directement à la justice si nécessaire. » Fantasme du président Boonen ? Provocation ? Il n’empêche que c’est quand même sur base du dossier constitué par l’asbl Dolor que l’affaire a été mise à l’instruction. Qu’y-a-t-il dans ce dossier ? « Nos avocats nous ont demandé de rester discrets là-dessus », nous répond Hendrik Boonen. Compréhensible : l’enjeu est de taille et des rumeurs de nettoyage informatique parviennent déjà aux oreilles de l’asbl Dolor qui reçoit des dizaines de mails par jour. Une chose est sûre, toutefois, l’ancien cadre de Fortis qui a déposé plainte n’avait pas en main que des documents qui lui appartenaient. En effet, Dolor reçoit des documents et des informations, concernant des anomalies dans la comptabilité de Fortis, depuis le mois d’avril 2007, date du rachat d’ABN Amro. À plusieurs reprises, son président a tenté de poser des questions lors d’assemblées des actionnaires et on lui a toujours refusé le droit de prendre la parole. À plusieurs reprises, il a tenté, documents en mains, d’approcher Maurice Lippens et son fidèle Herman Verwilst, pour en discuter avec eux mais on l’en a toujours empêché. Sans parler de ses lettres ouvertes qui sont restées sans suite."