K
Kik-
ex membre
Voici une lettre, publiee la semaine passee, qui m'a semble digne d'interet, puisqu'ecrite de la main du prix Nobel de la Paix lui-meme. Vous n'aurez peut-etre pas le courage de tout lire, surtout apres tout ce qui a deja ete poste sur le sujet, et puis puisque maintenant de toute facon les des sont jetes...
J'espere l'avoir retranscrite fidelement...excusez le manque d'accents, j'ai un clavier qwerty
...
Bref tout ca pour dire que meme si notre esprit critique est pour le moment pique au vif, veillons a avoir toutes les cartes en main...
Lettre a un ami francais
par Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix
"Lorsque cette lettre verra le jour, l'artillerie lourde et les bombes semeront peut-etre la destruction et la mort en Irak. Crainte normale porteuse de presage, nous sommes nombreux a l'eprouver ici, en Amerique, aussi bien qu'en Europe. Que voulez-vous, la guerre, je connais. Les cicatrices et les blessures qu'elle a laisse sur ma generation ne sont pas encore refermees. En ce qui me concerne, j'appartiens a une tradition qui privilegie la paix, toujours. Elle considere la guerre juste comme rare: de nombreuses conditions sont requises pour qu'elle soit permise. Sont-elles reunies aujourd'hui? Vous m'interrogez la-dessus, je vous responds en paraphrasant Camus: "Il suffit qu'un seul innocent soit tue pour que la guerre, n'importe laquelle, ne soit plus juste." Et pourtant, la guerre contre l'Allemagne hitlerienne, en depit du grand nombre de civils et d'enfants qui y ont trouve la mort, l'etait: elle etait une guerre non seulement necessaire et glorieuse, et noble, mais aussi juste.
J'ignore comment la presse francaise a rapporte mes diverses declarations concernant la politique actuelle des Etats-Unis a l'egard de l'Irak. Elle est impopulaire en Europe surtout, mais aussi ailleurs, j'en suis conscient.Ca et la, l'attitude envers l'Amerique me parait exageree et franchement hostile: je la deplore. Mais je l'attribue a l'incomprehension plutot qu'a l'ingratitude. Tous ces jeunes qui, a Paris comme a San Francisco, manifestent contre la guerre en Irak se rendent-ils compte que, sans le vouloir ou en esperant venir en aide a l population irakienne, ils aident le dictateur sanguinaire qu'est Saddam Hussein a s'obstiner dans son refus de desarmer? N'obeissent-ils pas a une animosite ideologique, si courante dans certains milieux politiques, a l'egard de l'unique superpuissance qu'est l'Amerique? Je prefere leur attribuer de mobiles plus eleves:ils voient sans doute en toute guerre, et surement quand elle est livree contre un pays plus faible et plus pauvre, une injustice a denoncer. Mais alors, pourquoi aurais-je decide de ne pas rejoindre leurs rangs?
Serais-je donc pour la guerre, ou plus precisemment pour cette guerre? Je l'ai dit plus haut: je ne me vois pas bien celebrant, ni meme approuvant la guerre. La guerre, pour moi, c'est toujours une catastrophe, un blaspheme a l'echelle de l'humanite. Tout vaut mieux que ca. Tout? Meme la soumission, la honte, l'humiliation? Allons plus loin: tout vaudrait mieux que la guerre, meme si elle n'est qu'une intervention destinee a en eviter une plus meurtriere? Nous voila plonges dans l'actualite.
Le probleme n'est pas vraiment l'Irak, mais Saddam Hussein. Son passe est connu: il est lourd d'horreurs. En fait, c'est depuis longtemps qu'il aurait du etre apprehende et inculpe pour crimes contre l'humanite: Slobodan Milosevic le fut pour beaucoup moins.
Consultons son dossier, voulez-vous. Le massacre par le gaz de plus de 100 000 Kurdes en 1988. Les dizaines de milliers de jeunes tombes a la guerre contre l'Iran. L'invasion du Koweit et ses puits de petrole incendies, provoquant ainsi le pire des desastres ecologiques de l'Histoire. Les Scud envoyes sur Israel, alors que cet etat n'avait joue aucun role dans la guerre du Golfe. La production d'armes de destruction massive depuis: comment etre sur qu'il n'en fera pas usage? Qu'il faille le desarmer, cela est evident. Mais par quels moyens?
Le president Bush se croit investi d'une mission historique, sinon sacree: combattre le terrorisme partout ou il se trouve. La, il a mon soutien. Et celui du monde civilise. Nulle societe ne peut, ni ne doit abdiquer devant la terreur. Ce serait non seulement dangereux, car le terrorisme ne s'arrete pas a mi-chemin, mais aussi indigne, car la capitulation est deshonorante. Or nul n'en doute, Saddam Hussein est un chef terroriste.
Est-ce vrai? Les avis sont partages. En Amerique, les sondages favorisent la Maison Blanche. Pas en Europe. En France, par exemple, on met en doute l'existence des "preuves" annoncees par le secretaire d'Etat Colin Powell qui affirme pouvoir prouver que l'Irak: 1. Possede des armes prohibees. 2. Qu'il est lie a l'organisation terroriste d'Al-Quaida. Moi, je tends a lui faire confiance. Ce grand general, je crois bien le connaitre. Ce n'est pas un homme de guerre. Je peux en temoigner: pendant le drame de Balkans, il n'etait pas enthousiaste a la perspective d'envoyer des soldats americains en Bosnie. Puis, c'est lui qui a influence le president Bush pere pour qu'il n'envahisse pas Bagdad. De meme qu'il a convaincu le president Bush fils de ne pas contourner le systeme des Nations Unies. Il ferait tout, il pense avoir tout fait, pour eviter le conflit arme. S'il dit posseder des preuves, c'est qu'il les a: il demissionnerait plutot que de mentir a la nation et au monde. Ce qui est en jeu pour lui, c'est son prestige, son avenir, son passe et son honneur.
En verite, nul ne veut la guerre ici, de meme que en France, nul ne souhaite l'abdication devant le despote irakien. Aujourd'hui encore, il n'est pas trop tard. Que l'Europe consente a exercer sur Bagdad la meme pression qu'elle exerce sur Washington et Londres, Saddam Hussein, accule au mur, resisterait avec moins d'obstination aux resolutions de la communaute internationale.
Cela dit, pour l'homme et l'ecrivain juif mais d'expression francaise que je suis, la tension et l'adversite dans les rapports entre les deux grands allies que sont l'Amerique et la France, ne peuvent que nous chagriner. Dans les deux pays, certains editoriaux vont jusqu'a prendre a l'egard de l'autre un ton insultant, comme si les deux peuples n'allaient plus jamais oeuvrer ensemble pour le bien de l'humanite. Ce serait une tragedie pour l'un comme pour l'autre.
Si je suis maintenant pour l'intervention, meme armee, et plutot dans le cadre d'une grande alliance, c'est parce que Dominique de Villepin a raison: la guerre est toujours un echec. Mais il faut qu'elle le soit pour celui qui la provoque, en l'occurence pour Saddam Hussein au passe monstrueux.
A l'inquietude que ce personnage m'inspire depuis longtemps vient s'ajouter sa conversation avec le journaliste Dan Rather de la chaine de television Cbs. Interroge sur la guerre du Golfe, il lui a declare, tout simplement, explications abracadabrantes a l'appui, que l'Irak ne l'a pas du tout perdue... Autrement dit: Saddam Hussein, ayant perdu le sens de la realite, vit a present dans son monde a lui, un monde fait de fantasmes et d'hallucinations.
Ne croyez-vous pas que lui permettre de garder ses armes de destruction massive serait le comble de l'absurde et de l'irresponsabilite?"
J'espere l'avoir retranscrite fidelement...excusez le manque d'accents, j'ai un clavier qwerty
Bref tout ca pour dire que meme si notre esprit critique est pour le moment pique au vif, veillons a avoir toutes les cartes en main...
Lettre a un ami francais
par Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix
"Lorsque cette lettre verra le jour, l'artillerie lourde et les bombes semeront peut-etre la destruction et la mort en Irak. Crainte normale porteuse de presage, nous sommes nombreux a l'eprouver ici, en Amerique, aussi bien qu'en Europe. Que voulez-vous, la guerre, je connais. Les cicatrices et les blessures qu'elle a laisse sur ma generation ne sont pas encore refermees. En ce qui me concerne, j'appartiens a une tradition qui privilegie la paix, toujours. Elle considere la guerre juste comme rare: de nombreuses conditions sont requises pour qu'elle soit permise. Sont-elles reunies aujourd'hui? Vous m'interrogez la-dessus, je vous responds en paraphrasant Camus: "Il suffit qu'un seul innocent soit tue pour que la guerre, n'importe laquelle, ne soit plus juste." Et pourtant, la guerre contre l'Allemagne hitlerienne, en depit du grand nombre de civils et d'enfants qui y ont trouve la mort, l'etait: elle etait une guerre non seulement necessaire et glorieuse, et noble, mais aussi juste.
J'ignore comment la presse francaise a rapporte mes diverses declarations concernant la politique actuelle des Etats-Unis a l'egard de l'Irak. Elle est impopulaire en Europe surtout, mais aussi ailleurs, j'en suis conscient.Ca et la, l'attitude envers l'Amerique me parait exageree et franchement hostile: je la deplore. Mais je l'attribue a l'incomprehension plutot qu'a l'ingratitude. Tous ces jeunes qui, a Paris comme a San Francisco, manifestent contre la guerre en Irak se rendent-ils compte que, sans le vouloir ou en esperant venir en aide a l population irakienne, ils aident le dictateur sanguinaire qu'est Saddam Hussein a s'obstiner dans son refus de desarmer? N'obeissent-ils pas a une animosite ideologique, si courante dans certains milieux politiques, a l'egard de l'unique superpuissance qu'est l'Amerique? Je prefere leur attribuer de mobiles plus eleves:ils voient sans doute en toute guerre, et surement quand elle est livree contre un pays plus faible et plus pauvre, une injustice a denoncer. Mais alors, pourquoi aurais-je decide de ne pas rejoindre leurs rangs?
Serais-je donc pour la guerre, ou plus precisemment pour cette guerre? Je l'ai dit plus haut: je ne me vois pas bien celebrant, ni meme approuvant la guerre. La guerre, pour moi, c'est toujours une catastrophe, un blaspheme a l'echelle de l'humanite. Tout vaut mieux que ca. Tout? Meme la soumission, la honte, l'humiliation? Allons plus loin: tout vaudrait mieux que la guerre, meme si elle n'est qu'une intervention destinee a en eviter une plus meurtriere? Nous voila plonges dans l'actualite.
Le probleme n'est pas vraiment l'Irak, mais Saddam Hussein. Son passe est connu: il est lourd d'horreurs. En fait, c'est depuis longtemps qu'il aurait du etre apprehende et inculpe pour crimes contre l'humanite: Slobodan Milosevic le fut pour beaucoup moins.
Consultons son dossier, voulez-vous. Le massacre par le gaz de plus de 100 000 Kurdes en 1988. Les dizaines de milliers de jeunes tombes a la guerre contre l'Iran. L'invasion du Koweit et ses puits de petrole incendies, provoquant ainsi le pire des desastres ecologiques de l'Histoire. Les Scud envoyes sur Israel, alors que cet etat n'avait joue aucun role dans la guerre du Golfe. La production d'armes de destruction massive depuis: comment etre sur qu'il n'en fera pas usage? Qu'il faille le desarmer, cela est evident. Mais par quels moyens?
Le president Bush se croit investi d'une mission historique, sinon sacree: combattre le terrorisme partout ou il se trouve. La, il a mon soutien. Et celui du monde civilise. Nulle societe ne peut, ni ne doit abdiquer devant la terreur. Ce serait non seulement dangereux, car le terrorisme ne s'arrete pas a mi-chemin, mais aussi indigne, car la capitulation est deshonorante. Or nul n'en doute, Saddam Hussein est un chef terroriste.
Est-ce vrai? Les avis sont partages. En Amerique, les sondages favorisent la Maison Blanche. Pas en Europe. En France, par exemple, on met en doute l'existence des "preuves" annoncees par le secretaire d'Etat Colin Powell qui affirme pouvoir prouver que l'Irak: 1. Possede des armes prohibees. 2. Qu'il est lie a l'organisation terroriste d'Al-Quaida. Moi, je tends a lui faire confiance. Ce grand general, je crois bien le connaitre. Ce n'est pas un homme de guerre. Je peux en temoigner: pendant le drame de Balkans, il n'etait pas enthousiaste a la perspective d'envoyer des soldats americains en Bosnie. Puis, c'est lui qui a influence le president Bush pere pour qu'il n'envahisse pas Bagdad. De meme qu'il a convaincu le president Bush fils de ne pas contourner le systeme des Nations Unies. Il ferait tout, il pense avoir tout fait, pour eviter le conflit arme. S'il dit posseder des preuves, c'est qu'il les a: il demissionnerait plutot que de mentir a la nation et au monde. Ce qui est en jeu pour lui, c'est son prestige, son avenir, son passe et son honneur.
En verite, nul ne veut la guerre ici, de meme que en France, nul ne souhaite l'abdication devant le despote irakien. Aujourd'hui encore, il n'est pas trop tard. Que l'Europe consente a exercer sur Bagdad la meme pression qu'elle exerce sur Washington et Londres, Saddam Hussein, accule au mur, resisterait avec moins d'obstination aux resolutions de la communaute internationale.
Cela dit, pour l'homme et l'ecrivain juif mais d'expression francaise que je suis, la tension et l'adversite dans les rapports entre les deux grands allies que sont l'Amerique et la France, ne peuvent que nous chagriner. Dans les deux pays, certains editoriaux vont jusqu'a prendre a l'egard de l'autre un ton insultant, comme si les deux peuples n'allaient plus jamais oeuvrer ensemble pour le bien de l'humanite. Ce serait une tragedie pour l'un comme pour l'autre.
Si je suis maintenant pour l'intervention, meme armee, et plutot dans le cadre d'une grande alliance, c'est parce que Dominique de Villepin a raison: la guerre est toujours un echec. Mais il faut qu'elle le soit pour celui qui la provoque, en l'occurence pour Saddam Hussein au passe monstrueux.
A l'inquietude que ce personnage m'inspire depuis longtemps vient s'ajouter sa conversation avec le journaliste Dan Rather de la chaine de television Cbs. Interroge sur la guerre du Golfe, il lui a declare, tout simplement, explications abracadabrantes a l'appui, que l'Irak ne l'a pas du tout perdue... Autrement dit: Saddam Hussein, ayant perdu le sens de la realite, vit a present dans son monde a lui, un monde fait de fantasmes et d'hallucinations.
Ne croyez-vous pas que lui permettre de garder ses armes de destruction massive serait le comble de l'absurde et de l'irresponsabilite?"