La vie était plus chère avant
L'ÉCONOMISTE PHILIPPE Defeyt lance la machine à remonter le temps et compare le prix du pain et des œufs à 25 ans d'intervalle.
Objectiver la perte du pouvoir d'achat afin de dépasser le stade des impressions et idées reçues est une affaire délicate. Pour une simple et bonne raison : les comparaisons dans le temps sont ardues. Ce n'est pas parce qu'un pain de 800 grammes coûtait il y a 25 ans 86 cents et qu'il en coûte aujourd'hui 1,87 euro qu'on peut en conclure qu'il est devenu plus cher. Tout dépend de l'évolution des salaires durant ce laps de temps. Leur progression a-t-il neutralisé l'impact de la hausse des prix ? Autrement dit le pouvoir d'achat est-il resté intact à travers les années ? L'économiste Philippe Defeyt, de l'Institut pour un développement durable, s'est penché sur la question. Il a calculé le temps qu'il était nécessaire de travailler pour pouvoir acquérir treize produits de grande consommation, à trois moments : 1983, 1988 et 2008. Il se base sur l'évolution du salaire horaire net moyen à prix constant et de la durée moyenne du temps de travail.
Conclusion ? Il n'y a pas vraiment de perte de pouvoir d'achat. Tous les produits sont moins chers ou au même prix qu'en 1983, à l'exception du gâteau moka, des pommes de terre et du cabillaud. Certains écarts sont impressionnants. Il fallait travailler 1 h 02 pour acheter un kilo de beurre en 1983 contre 34 minutes en avril 2008. Pour d'autres produits, c'est le statu quo. Le pain par exemple, contrairement à ce qu'on pourrait penser, coûte toujours exactement (en termes relatifs) la même chose qu'il y a 25 ans, soit 11 minutes de travail. Il faut par contre deux minutes de travail supplémentaire pour s'acheter des pommes de terre et du gâteau au moka.
Le tableau permet de relativiser pas mal d'informations. La flambée, bien réelle, du prix du cabillaud par exemple. Son prix, en chiffres absolus, a pratiquement doublé en 20 ans (de 10,67 à 19,51 euros). Pourtant, il coûte à l'achat cinq minutes de travail en moins qu'en 1988.
La comparaison est particulièrement intéressante pour les carburants. Si on considère que l'on vit un choc pétrolier à l'heure actuelle, qu'en est-il des prix que l'on payait il y a 25 ans, à la sortie du précédent choc ? Force est de constater que là aussi, on était plus mal loti à l'époque.
Mauvaise mémoire
Il fallait travailler 6 h 15 pour se payer un plein de 40 litres d'essence alors qu'il ne faut plus que 5 h 25 de boulot aujourd'hui. Pour remplir une cuve de mazout de 1.000 litres, l'effort est plus ou moins équivalent : 73 heures en 1983 et 72 heures en avril 2008 (depuis, les prix du mazout ont encore progressé). Cela représente tout de même près de 10 jours de travail. Et 19 jours pour une cuve de 2.000 litres !
La perte de pouvoir d'achat est par contre très marquée avec 1988, année où les prix du pétrole ont atteint un niveau plancher. Il fallait à l'époque travailler 5 jours de moins qu'aujourd'hui pour remplir sa cuve de mazout et une heure en moins pour un plein d'essence.
« Sur le long terme, pour les produits de consommation de base, les Belges ont gagné du pouvoir d'achat », conclut Philippe Defeyt. Il avance deux éléments pour expliquer cet écart entre les faits et la perception des consommateurs : le poids toujours plus grand dans le budget des ménages des dépenses « nouvelles » comme les GSM, les vacances, l'internet et une… très mauvaise mémoire.
Source : Le Soir.