Peer to peer et copie privée

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1. Introduction

Difficile de trouver à l'heure actuelle un sujet plus polémique que l'exception de copie privée. Celle-ci, souvent utilisée par les internautes pour justifier des téléchargements ou des reproductions en tous genres, est une source de conflit permanent entre les ayants droits ou leurs représentants (artistes, producteurs, éditeurs, auteurs, sociétés de gestion collective des droits) et les internautes. Le marché des consommables vierges et des appareils électroniques les utilisant (graveurs de DVD, platines de DVD) fait entrer un troisième acteur dans ce débat : les industriels, qui ont un intérêt réel dans ce débat.

Les règles juridiques étant floues, l'interprétation des textes de loi se fait par des décisions de justice, qui ne sont pas toujours en adéquation. De plus, l'interprétation de ces mêmes décisions est également différente selon les parties en présence. Aussi, le non juriste (et même le juriste spécialisé d'ailleurs) peut se retrouver perdu dans ces débats et ne plus vraiment savoir à quel saint se vouer. A-t-on le droit de télécharger des oeuvres sur internet ? Les protections mises en place par les maisons de disque sur certains CD sont-elles légales ? Qu'ai-je le droit de faire des oeuvres que j'ai acheté ? C'est à toutes ces questions que nous allons tenter de répondre dans ce dossier.

Pour cela, nous allons d'abord décrypter la situation juridique actuelle au regard des textes juridiques et des décisions de justice. Nous avons ensuite souhaité interviewer des professionnels : un représentant de la SACEM, qui naturellement défendra un point de vue favorable aux auteurs et éditeurs, puis un professeur en droit spécialisé en propriété intellectuelle, pour avoir un point de vue plus objectif, sous réserve qu'il soit possible d'être objectif dans de tels débats.


2. Cadre légal général

Il faut comprendre comment fonctionne le droit d'auteur en France pour bien ensuite comprendre les problématiques liées à la copie privée. Lorsque vous achetez un CD, un DVD ou un livre, vous n'êtes propriétaire que du support physique. Le contenu ne vous appartient toujours pas et vous ne pouvez en faire ce que vous souhaitez. En effet, le droit d'auteur est un monopole de l'auteur sur son oeuvre, qui lui permet de choisir sous quelle forme il souhaite la diffuser.

Les droits d'auteur se séparent en 2 composantes : droits moraux (droit de paternité, droit de repentir, droit de divulgation et droit au respect de l'intégrité de l'oeuvre) et droits patrimoniaux (droit de représentation et de reproduction) assortis d'exceptions.

La copie privée est une de ces exceptions. Elle est controversée avant tout car les textes qui la prévoient sont très généraux et ne donnent que des principes qui peuvent être interprétés dans différentes directions. L'article central est L122-5 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que :

"Lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire : 1º Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ; 2º Les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective.[...]."

La mise à disposition de fichiers non libres de droit (l'upload), à travers le peer to peer par exemple, ne pose pas de problème juridique : il s'agit clairement d'une contrefaçon puisque même si vous disposez des oeuvres sur un support physique, celles-ci ne vous appartiennent pas, vous ne pouvez donc les diffuser de manière publique. Sachez donc qu'à partir du moment où vous partagez des fichiers non libres de droit, vous êtes coupable de contrefaçon. C'est ainsi le principe même du peer to peer qui implique une contrefaçon pour les fichiers non libres de droit.

En revanche, la question du téléchargement (download) est bien plus complexe. Un des principal problème dans le débat sur la copie privée vient en fait de la source à partir de laquelle on réalise la copie privée. Doit-elle être licite, c'est-à-dire être détenue réellement par le copiste, ou peut-il s'agir d'une source dont le copiste ne détient pas les droits ?

Les tribunaux n'ont jamais réellement répondu à cette question, et se sentent d'ailleurs bien mal à l'aise avec ce problème. En effet, ils préfèrent sanctionner la mise à disposition de fichiers sur internet que leur téléchargement. Il faudra probablement une décision de la Cour de cassation, plus haute juridiction française, pour clarifier la situation.

La directive sur les droits d'auteur et les droits voisins de 2001 prévoit un triple test que doivent passer les exceptions au droit d'auteur. Ce triple test ou test des 3 étapes est souvent utilisé par les ayant droit pour justifier que le téléchargement d'oeuvres protégées est illicite. Il prévoit en effet que les exceptions doivent correspondre à certains cas spéciaux (ce qui suppose un texte spécial), qu'elles ne doivent pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et enfin qu'elles ne doivent pas causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. Le problème est ici très juridique : d'une part, cette directive n'a pas encore été transpose, son applicabilité en droit français est donc déja un problème. Ensuite, on ne sait pas réellement à qui ce texte est adressé : au juge ou au législateur ? Enfin, même les contours du triple test restent flous et on ne sait pas réellement ce qu'il englobe.

Des logiciels de Peer to Peer légaux ?

Si les logiciels de Peer to Peer sont illicites, leur utilisation le serait tout autant, et toutes les questions précédemment posées n'auraient plus raison d'exister. Mais justement, les logiciels de Peer to Peer ne sont pas considérés pour le moment comme illicites. La Cour Suprême des Etats-unis vient de se prononcer sur cette question, dans une déja célèbre affaire Grokster, du nom du logiciel mis en cause. Même s'il ne s'agit que d'une décision américaine, les juristes s'accordent à dire que ses répercussions seront importantes. Dans cette affaire, la Cour a estimé que l'éditeur de Grokster était coupable, en retenant que la société faisait la promotion du téléchargement illicite. La difficulté est donc désormais de savoir si une société éditrice d'un logiciel de peer to peer ne faisant pas de promotion sur les possiblités d'utilisation illégales pourrait se voir condamner... Une insécurité juridique supplémentaire dans un débat qui en compte déja un certain nombre.


3. Applications particulières

L'enregistrement de programmes télévisuels et radiophoniques

La question est claire juridiquement : vous pouvez enregistrer les programmes télévisuels et radiophoniques grâce à votre magnétoscope ou enregistreur numérique tant que les copies réalisées sont utilisées dans un cadre privé. Les droits de diffusion que payent les chaînes et les radios incluent une rémunération pour cela. On se retrouve donc dans une situation ou vous pouvez copier licitement un film qui passe à la télévision, mais son téléchargement sur un réseau peer to peer impliquera une contrefaçon (de la part de ceux qui vous l'envoient dans tous les cas, et de vous même si on considère que le téléchargement est illicite).

La copie de DVD de location

Si vous avez bien suivi les développements précédents, vous pensez avoir trouvé le système infaillible en copiant des DVD que vous aurez loué : en effet, vous possédez licitement - mais temporairement - le DVD ce qui pourrait vous permettre de réaliser une copie à usage privé. Mais les choses ne sont pas si simples, et juridiquement, rien n'est certain de ce côté. Les 2 points de vue sont soutenus : certains pensent que cela rentre dans le cadre de l'exception de copie privée, d'autres pensent au contraire qu'il s'agit d'une contrefaçon. La question n'est pas tranchée, ni par la loi, ni par les tribunaux. A priori rien ne s'y oppose.


Le cas StationRipper

Par extension avec ce qui a été dit ci-dessus concernant l'enregistrement de programmes télévisuels et radiophoniques, on peut penser que l'utilisation d'un logiciel comme StationRipper, qui permet de télécharger à la chaîne les morceaux musicaux passant sur plusieurs radios, est licite. C'est d'ailleurs ce que soutiennent ses défenseurs, arguant du fait que les radios payent dans leurs droits de diffusion une part prévoyant la copie privée réalisée par les auditeurs.

Le problème en réalité ici est que lors des négociations de cette part, l'univers radiophonique était analogique, et donc les copies privées réalisées étaient de qualité inférieure à la diffusion. De plus, faire une copie était une procédure particulièrement pénible tandis qu'avec le numérique, plus de problème, les copies sont en fait des clônes et tout se fait très facilement et en masse. StationRipper est donc un cas d'école, qui montre bien que nos règles actuelles semblent inadaptées à l'univers numérique : la légalité de l'emploi d'un tel logiciel, ce qui semble être le cas actuellement, pourrait en effet mettre en danger sérieusement l'univers musical.


4. Mesures techniques de protection et rémunération pour copie privée

Cette rémunération a été mise en place en 2001 afin de compenser financièrement l'exception de copie privée. C'est l'article L311-1 du Code de la propriété intellectuelle qui la prévoit : "Les auteurs et les artistes-interprètes des oeuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes, ainsi que les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites oeuvres, réalisées dans les conditions mentionnées au 2º de l'article L. 122-5 et au 2º de l'article L. 211-3."

On peut dès lors se demander si les mesures techniques de protection, mises en place sur les CD et DVD, ne vont pas à l'encontre de l'exception de copie privée. La redevance pour copie privée perd également son fondement s'il n'est pas possible de réaliser de copies. On se retrouve donc là encore dans un jeu de chaises musicales pas évident à mettre en place, car le législateur doit concilier les intérêts des producteurs et ceux des consommateurs. Les tribunaux eux-même reconnaissent que les mesures de protection peuvent porter atteinte à l'exception s'il n'est plus possible de réaliser de copies privées. C'est notamment ce qui a été jugé dans le fameux arrêt Mulholland Drive de la Cour d'appel de Paris.

Le projet de loi transposant la directive de 2001 sur le droit d'auteur s'exprime très clairement sur cette question, en déclarant licites les mesures techniques de protection dans ses articles 7 et 8. Le problème est que dans le même temps, ce projet de loi confirme que l'exception de copie privée existe et que le nombre de copies réalisables ne doit pas être inférieur à 1. Et pour compliquer encore la situation, les logiciels de contournement des protections sont déclarés illicites.

Dès lors, si ce projet de loi est adopté, la situation sera pour le moins complexe, puisque les copies privées devront être possibles, mais les éditeurs auront la possibilité de poser des mesures de protection, que les consommateurs n'auront pas le droit de casser. La rémunération pour copie privée sera elle aussi dans la tourmente, puisque fortement atténuée. Des solutions sont donc déja envisagées :

L'Alpa propose pour les DVD de les vendre avec la copie privée directement dans la boîte : vous achèteriez donc un boîtier DVD contenant 2 DVD-Rom (même si le prix de pression du DVD sera forcément imputé sur le prix de vente final). Ces DVD seront forcément incopiables. Un tel système permettrait de répondre aux exigences du projet de loi.Une autre solution consiste à ajuster la rémunération pour la copie privée, en fonction de l'importance dans la diffusion des mesures de protection. Des études ont déja été réalisées en ce sens par la commission d'Albis.


5. Conclusion

Les questions liées à la copie privée ne sont donc pas clairement résolues, et en dehors du débat entre les consommateurs et les ayant droit ou leurs représentants, même les juristes ont du mal à avoir des avis unifiés. Cela prouve non seulement que des précisions sont nécessaires, apportées par la loi ou par les tribunaux, mais aussi peut-être qu'une réforme plus en profondeur doit être étudiée. En effet, le numérique a beaucoup changé la donne, et l'exemple de StationRipper nous semble particulièrement parlant sur la question. Des projets de loi sont en cours, à commencer par le projet de loi transposant la directive de 2001. Malheureusement, ce projet ne va pas dans le sens de la simplification puisqu'il contient lui-même des paradoxes. Autant dire que la fin du débat n'est pas pour un futur proche.


Source: presence-pc.com
 
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