Fleur de Lotus
Nạk citwithyā
Anorexie, mon amie...
Myriam Leroy
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Jamais les effroyables dangers des privations alimentaires n'ont autant été médiatisés. Pourtant, le mouvement pro-anorexie sur la toile réunit encore bien des adeptes.
Une jeune top model uruguayenne est morte, il y a une semaine. Eliana Ramos, 18 ans, a succombé à une crise cardiaque due à ses restrictions alimentaires. En clair, anorexique, la jeune fille est morte de faim. Au mois d'août, c'est sa grande soeur, Luisel, qui avait déclenché un mouvement anti-maigreur chez les créateurs du monde entier. Elle aussi était mannequin... elle aussi est décédée d'un arrêt cardiaque.
Trois mois plus tard, c'est une top brésilienne de 18 ans qui était emportée par l'anorexie, à la veille d'un important shooting photo à Paris. Une infection urinaire s'était transformée en insuffisance rénale, puis en infection généralisée...
Ces décès tragiques ont alerté l'opinion sur les dangers des diktats de la minceur... Un grand nombre de stylistes affirment désormais interdire de défilé les filles trop jeunes, ou objectivement squelettiques...
Mais dans l'ombre, réunies par le réseau des blogs et des forums, des jeunes (et parfois moins jeunes) filles vouent un culte à leur déesse, Ana. Le diminutif du terme anglophone « anorexia », pour les initiées. Elles se font appeler « Pro-Ana », et livrent sur la toile leur quotidien d'anorexiques et fières de l'être, leurs astuces pour s'affamer, et leurs états d'âme.
Ou plus glauque encore, elles essaient d'entrer dans cette communauté où la maigreur est érigée en culte, et glânent des conseils pour ressembler à leurs idoles. Nicole Richie (fille de Lionel, qui est passée d'une silhouette enrobée à celle d'un sac d'os en quelques mois), les jumelles Olsen et Calista ? Ally McBeal ? Flockhart en sont les sources d'inspiration les plus emblématiques.
Le mouvement pro-ana a démarré aux États-Unis il y a une dizaine d'années avant de se propager à l'Europe, aidé par le développement phénoménal des blogs où l'on peut tout dire, ou presque. Les hébergeurs ont bien tenté de faire place nette parmi ces pages, elles n'en sont pas moins toujours très actives sur la toile.
« Rechercher la relation avec l'autre via ces sites », explique Cinzia Agoni-Tolfo, Présidente de l?ASBL bruxelloise Infor Anorexie & Boulimie, « même quand elle est pathologique, permet à ces personnes de ne pas se sentir complètement seules et isolées. Malheureusement, ça les conforte dans ce qu'elles croient être un choix... Et c'est très pervers ». D'ailleurs, l'asbl, qui entre autres activités (aide et soutien, information et prévention, orientation thérapeutique...) organisait jadis des groupes de parole pour anorexiques, y a vite mis un terme. « On s'est rendu compte qu'il y avait un effet renforçateur du groupe par rapport à la maladie. »
100 kcal par jour
« Ana c'est mon amie, c'est ma meilleure amie, depuis quelques jours j'ai fait le pacte de lui consacrer tout mon amour. Un amour qui sera fidèle envers elle. Pour elle, je renonce à Mia (NDLR: diminutif de « boulimie »), je déclare ne plus la trahir avec son ennemie jurée. Pour elle, je déclare ne plus manger, juste le minimum; ne seront autorisés que les journées à moins de 500 calories. » Voilà le message d'introduction du blog de cette jeune femme de 26 ans. Karine (nom d'emprunt), a posté ses premières notes en mai dernier. Elle pesait alors 58 kilos pour 1m75. Ses derniers posts mentionnent qu'elle espère bientôt passer sous la barre des 50 kilos.
Parmi les commentaires laissés par les internautes, beaucoup de messages affligés par les troubles alimentaires de la jeune femme... et bien d'autres, qui l'envient et lui demandent conseil. « Mon blog n'a pas été créé dans le but de conseiller, ou d'influencer des personnes à suivre mon exemple, loin de là », nous confie-t-elle. Karine est consciente d'avoir un rapport problématique avec la nourriture... mais refuse qu'on la qualifie d'anorexique. Pourtant, à cet égard, son témoignage est sidérant : « J'ai commencé à vouloir perdre du poids, et je suis tombée par hasard sur des sites, des blogs « Pro ana ». Certaines personnes perdaient du poids très rapidement et ça m'a attirée. J'ai donc commencé par restreindre mon alimentation, à faire un tri entre les "bons" aliments et les "mauvais". J'ai débuté à 1000 calories par jour ( NDLR : l'apport énergétique quotidien conseillé pour une femme adulte ayant une activité normale est de 2 000 calories). Je suis vite descendue à 500, puis à 100, sans m'en rendre compte. » Dans son entourage, personne n'est au courant de sa « diète ». « Par exemple, au boulot je ne mange jamais avec mes collègues, je pars pendant ma pause déjeuner et je me promène ». Et à la maison, elle raconte à son ami qu'elle a mangé au boulot.
La communauté du bracelet
« On regrette toujours d'avoir mangé, jamais d'avoir jeûné » est le slogan d'une autre page « pro-Ana », référencée sur le blog de Karine. Edifiant.
Ailleurs:« Je n'arrive pas à vomir systématiquement et ça m'énerve beaucoup, alors si vous aviez des conseils pour m'aider ce serait super cool de votre part! », demande une jeune fille.
Sur ces sites, une profusion de photos de femmes ultra-maigres (parfois même encore « amaigries » par Photoshop) hissées au rang d'idéal à atteindre.
Mais il n'y a pas que sur la toile que les « pro-Ana » se retrouvent. Dans la rue, aussi, elles ont leurs codes. Qui ne passent pas uniquement par leur silhouette décharnée et leur visage émacié: un bracelet rouge leur sert de signe de ralliement. N'importe quel modèle peut faire l'affaire, mais certains poussent l'indécence jusqu'à vendre un bracelet dit « officiel » des pro-Ana : en quelques clics, on peut s'en procurer un exemplaire sur Ebay. L'accessoire a été popularisé par la starlette Nicole Richie, qui est de tous les magazines people.
« Il y a effectivement une influence des médias sur les troubles alimentaires », souligne la présidente de l'ASBL Infor Anorexie & Boulimie... « mais le problème de l'anorexie mentale est beaucoup plus complexe que cela, et il a toujours existé, même quand la mode n'était pas aux maigres. On a retrouvé des récits du moyen-âge qui parlent d'anorexie. Sainte-Catherine de Sienne en est morte au XIVème siècle à l'âge de 33 ans. Sous le couvert de l'ascèse religieuse, c'était une vraie anorexique. »
L'impératrice d'Autriche Sissi, des siècles plus tard, rejetait également la nourriture. Bien avant que la sveltesse ne soit socialement prescrite.
Myriam Leroy
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Jamais les effroyables dangers des privations alimentaires n'ont autant été médiatisés. Pourtant, le mouvement pro-anorexie sur la toile réunit encore bien des adeptes.
Une jeune top model uruguayenne est morte, il y a une semaine. Eliana Ramos, 18 ans, a succombé à une crise cardiaque due à ses restrictions alimentaires. En clair, anorexique, la jeune fille est morte de faim. Au mois d'août, c'est sa grande soeur, Luisel, qui avait déclenché un mouvement anti-maigreur chez les créateurs du monde entier. Elle aussi était mannequin... elle aussi est décédée d'un arrêt cardiaque.
Trois mois plus tard, c'est une top brésilienne de 18 ans qui était emportée par l'anorexie, à la veille d'un important shooting photo à Paris. Une infection urinaire s'était transformée en insuffisance rénale, puis en infection généralisée...
Ces décès tragiques ont alerté l'opinion sur les dangers des diktats de la minceur... Un grand nombre de stylistes affirment désormais interdire de défilé les filles trop jeunes, ou objectivement squelettiques...
Mais dans l'ombre, réunies par le réseau des blogs et des forums, des jeunes (et parfois moins jeunes) filles vouent un culte à leur déesse, Ana. Le diminutif du terme anglophone « anorexia », pour les initiées. Elles se font appeler « Pro-Ana », et livrent sur la toile leur quotidien d'anorexiques et fières de l'être, leurs astuces pour s'affamer, et leurs états d'âme.
Ou plus glauque encore, elles essaient d'entrer dans cette communauté où la maigreur est érigée en culte, et glânent des conseils pour ressembler à leurs idoles. Nicole Richie (fille de Lionel, qui est passée d'une silhouette enrobée à celle d'un sac d'os en quelques mois), les jumelles Olsen et Calista ? Ally McBeal ? Flockhart en sont les sources d'inspiration les plus emblématiques.
Le mouvement pro-ana a démarré aux États-Unis il y a une dizaine d'années avant de se propager à l'Europe, aidé par le développement phénoménal des blogs où l'on peut tout dire, ou presque. Les hébergeurs ont bien tenté de faire place nette parmi ces pages, elles n'en sont pas moins toujours très actives sur la toile.
« Rechercher la relation avec l'autre via ces sites », explique Cinzia Agoni-Tolfo, Présidente de l?ASBL bruxelloise Infor Anorexie & Boulimie, « même quand elle est pathologique, permet à ces personnes de ne pas se sentir complètement seules et isolées. Malheureusement, ça les conforte dans ce qu'elles croient être un choix... Et c'est très pervers ». D'ailleurs, l'asbl, qui entre autres activités (aide et soutien, information et prévention, orientation thérapeutique...) organisait jadis des groupes de parole pour anorexiques, y a vite mis un terme. « On s'est rendu compte qu'il y avait un effet renforçateur du groupe par rapport à la maladie. »
100 kcal par jour
« Ana c'est mon amie, c'est ma meilleure amie, depuis quelques jours j'ai fait le pacte de lui consacrer tout mon amour. Un amour qui sera fidèle envers elle. Pour elle, je renonce à Mia (NDLR: diminutif de « boulimie »), je déclare ne plus la trahir avec son ennemie jurée. Pour elle, je déclare ne plus manger, juste le minimum; ne seront autorisés que les journées à moins de 500 calories. » Voilà le message d'introduction du blog de cette jeune femme de 26 ans. Karine (nom d'emprunt), a posté ses premières notes en mai dernier. Elle pesait alors 58 kilos pour 1m75. Ses derniers posts mentionnent qu'elle espère bientôt passer sous la barre des 50 kilos.
Parmi les commentaires laissés par les internautes, beaucoup de messages affligés par les troubles alimentaires de la jeune femme... et bien d'autres, qui l'envient et lui demandent conseil. « Mon blog n'a pas été créé dans le but de conseiller, ou d'influencer des personnes à suivre mon exemple, loin de là », nous confie-t-elle. Karine est consciente d'avoir un rapport problématique avec la nourriture... mais refuse qu'on la qualifie d'anorexique. Pourtant, à cet égard, son témoignage est sidérant : « J'ai commencé à vouloir perdre du poids, et je suis tombée par hasard sur des sites, des blogs « Pro ana ». Certaines personnes perdaient du poids très rapidement et ça m'a attirée. J'ai donc commencé par restreindre mon alimentation, à faire un tri entre les "bons" aliments et les "mauvais". J'ai débuté à 1000 calories par jour ( NDLR : l'apport énergétique quotidien conseillé pour une femme adulte ayant une activité normale est de 2 000 calories). Je suis vite descendue à 500, puis à 100, sans m'en rendre compte. » Dans son entourage, personne n'est au courant de sa « diète ». « Par exemple, au boulot je ne mange jamais avec mes collègues, je pars pendant ma pause déjeuner et je me promène ». Et à la maison, elle raconte à son ami qu'elle a mangé au boulot.
La communauté du bracelet
« On regrette toujours d'avoir mangé, jamais d'avoir jeûné » est le slogan d'une autre page « pro-Ana », référencée sur le blog de Karine. Edifiant.
Ailleurs:« Je n'arrive pas à vomir systématiquement et ça m'énerve beaucoup, alors si vous aviez des conseils pour m'aider ce serait super cool de votre part! », demande une jeune fille.
Sur ces sites, une profusion de photos de femmes ultra-maigres (parfois même encore « amaigries » par Photoshop) hissées au rang d'idéal à atteindre.
Mais il n'y a pas que sur la toile que les « pro-Ana » se retrouvent. Dans la rue, aussi, elles ont leurs codes. Qui ne passent pas uniquement par leur silhouette décharnée et leur visage émacié: un bracelet rouge leur sert de signe de ralliement. N'importe quel modèle peut faire l'affaire, mais certains poussent l'indécence jusqu'à vendre un bracelet dit « officiel » des pro-Ana : en quelques clics, on peut s'en procurer un exemplaire sur Ebay. L'accessoire a été popularisé par la starlette Nicole Richie, qui est de tous les magazines people.
« Il y a effectivement une influence des médias sur les troubles alimentaires », souligne la présidente de l'ASBL Infor Anorexie & Boulimie... « mais le problème de l'anorexie mentale est beaucoup plus complexe que cela, et il a toujours existé, même quand la mode n'était pas aux maigres. On a retrouvé des récits du moyen-âge qui parlent d'anorexie. Sainte-Catherine de Sienne en est morte au XIVème siècle à l'âge de 33 ans. Sous le couvert de l'ascèse religieuse, c'était une vraie anorexique. »
L'impératrice d'Autriche Sissi, des siècles plus tard, rejetait également la nourriture. Bien avant que la sveltesse ne soit socialement prescrite.