Premier bilan pour les auditions sur le radicalisme à l'école : "Elles ont démontré qu'il y a un problème dont on doit se saisir"
Caroline Vandenabeele
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"On entend de plus en plus de témoignages d'enseignants par rapport à l'auto-censure dans leur propre classe", relate Diana Nikolic, cheffe de groupe MR au Parlement de la FWB. "Certains élèves remettent en cause des principes des sciences, des mathématiques, d'Histoire, mais aussi des valeurs de base de notre société comme l'égalité homme-femme, ou la lutte contre les discriminations." Face à ce constat difficile à objectiver, le groupe MR a tenu à organiser des auditions sur le radicalisme au Parlement. Une première en Belgique francophone, souligne fièrement la libérale. "La tenue de ces auditions était importante", confirme le député Loïc Jacob, qui suit ce dossier pour le groupe des Engagés.
Un parcours semé d'embûches
Pour ce faire, la commission a réuni des acteurs de terrain : des enseignants aux chercheurs en passant par les membres de l'Administration de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de l'OCAM. Mais avant de pouvoir mettre en place ces auditions, la cheffe de groupe libérale s'est heurtée à beaucoup de réticences. "Des membres d'autres groupes politiques doutaient même de leur utilité", explique-t-elle. "Ensuite, il a aussi été difficile de trouver des enseignants qui acceptaient de témoigner, surtout à visage découvert. Mais alors que l'on en était au dernier bloc d'auditions, on a reçu de plus en plus de demandes spontanées de professeurs. On a donc décidé d'organiser au moins une autre séance à la rentrée." Si les professeurs ayant jusqu'ici participé aux auditions sont tous bruxellois, leurs témoignages indiqueraient que cette radicalisation concerne aussi d'autres villes en Wallonie. "L'objectif de ces auditions était aussi de pouvoir objectiver la portée de ce phénomène", ajoute Diana Nikolic.
Mais qu'entend-on par "radicalisation" ? "Comme le démontre une série de rapports, la radicalisation est principalement religieuse et majoritairement liée à l'islamisme. Nous faisons la différence avec l'islam, la majorité des musulmans ayant une pratique qui ne pose absolument pas de problème. Mais il faut pouvoir dire et accepter le fait qu'il existe une frange radicalisée qui place les dogmes de la religion au-dessus des lois et des normes belges. C'est comme ça que je définis la radicalisation", avance la libérale. Au-delà du pan religieux, la radicalisation comprend aussi les dogmes idéologiques inspirés notamment des extrêmes gauche et droite, ajoute-t-elle.
"Un élément amené par les auditions est qu'il faut faire attention au mot 'radicalisme' car il couvre beaucoup de réalités", nuance Loïc Jacob. "Des intervenants ont expliqué que la majorité des propos témoignant d'une certaine radicalité tenus dans le milieu scolaire sont plus ou moins propres à la période de l'adolescence, de la crise identitaire. À cet âge, on cherche parfois à tenir des propos qui s'opposent à l'autorité pour se faire remarquer, sans qu'il y ait d'intention d'extrémisme ou d'acte violent derrière. Mais à côté de cela, il existe effectivement des processus de radicalisation idéologique. Même s'ils sont très rares en milieu scolaire, ils existent et il ne faut pas les nier", ajoute le député Engagés.
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"Une problématique latente dont le politique se saisit enfin"
Les résultats de ces auditions dressent justement un constat similaire à la définition établie par la cheffe de groupe MR. "Je crois qu'on a vraiment vécu un tournant lors des auditions de ce 2 juillet. Jusqu'à maintenant, on sentait beaucoup de réserve chez certains. Ce matin, l'un des intervenants a utilisé l'image de 'cacher la poussière sous le tapis'. Les auditions de Jean-Pierre Martin et d'Ismaël Saïdi (le réalisateur de la pièce Djihad, NdlR.) ont vraiment mis le doigt sur le fait que c'est une problématique latente et qu'il y avait une attente que le politique s'en saisisse enfin."
Des chiffres du Service général de l'inspection évoquent qu'un minimum de 6 % des professeurs en Fédération Wallonie-Bruxelles se sont déjà autocensurés. "Même s'il n'y avait qu'un seul enseignant concerné, c'est un sujet que l'on se doit de saisir", alerte Diana Nikolic. De manière générale, la radicalisation dans les écoles est un phénomène difficile à objectiver vu le peu d'études à son sujet. Cela étant, le directeur de l'OCAM a indiqué "qu'un tiers des personnes qui planifiaient un attentat en Belgique étaient des mineurs de moins de 18 ans et que 33 dossiers ont été ouverts par l'Organe à l'égard de mineurs actuellement surveillés, dont 19 en Flandre, 8 à Bruxelles et 6 en Wallonie". "La question reste de savoir si cet écart témoigne d'une radicalisation plus forte en Flandre et à Bruxelles qu'en Wallonie ou s'il s'agit d'une question de diagnostic à la base", commente la députée. "En tout cas, ces auditions ont démontré qu'il y a un problème dont on doit se saisir pour rompre la solitude des professeurs et pouvoir soutenir les écoles face à ce phénomène."
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Quelles solutions mettre en place ?
Face à ce constat, la députée souhaite également proposer des solutions à mettre en place. "Une idée serait de travailler sur un socle de valeurs communes. La liberté de religion et d'expression ne sont pas absolues, les propos discriminants, racistes et homophobes sont punis par la loi. L'égalité entre les hommes et les femmes est consacrée par notre Constitution", rappelle-t-elle. "Il faudrait donc repréciser les normes qui fondent notre société et le vivre-ensemble en Belgique, et que les dogmes religieux ou idéologiques ne peuvent pas supplanter ces lois. Cela pourrait se faire via le cours de philosophie et de citoyenneté."
D'autres intervenants plaident aussi pour le renforcement de la formation initiale des enseignants, afin de les aider à mieux anticiper et confronter des propos radicaux en classe. "Il faut qu'ils puissent déconstruire ces discours. Des écoles qui ont été confrontées à ces problématiques nous ont confié avoir mis en place des espaces de parole entre enseignants, mais aussi des moments où les élèves peuvent exprimer leur incompréhension. Beaucoup ont rapporté qu'après avoir travaillé sur l'explication et l'esprit critique, les tensions se sont apaisées d'elles-mêmes."
"Il ne faut ni exagérer le phénomène, ni le sous-estimer"
"Un élément marquant est que les professeurs demandent que les établissements aient une ligne claire par rapport à ces comportements", abonde Loïc Jacob. "On a remarqué que les écoles les plus à l'aise pour y répondre sont celles où il existe une ligne claire entre tous et où les choses sont parfois inscrites dans un règlement d'ordre intérieur. Tous les acteurs nous ont dit qu'une approche exclusivement répressive serait totalement inopérante. Il faut offrir des espaces de dialogue, où l'on déconstruit ces propos, et ne surtout pas rejeter encore plus leurs auteurs. Les isoler n'est pas la bonne solution."
Le député Engagés tient aussi à le souligner, ces auditions couvrent uniquement le prisme relatif à l'école. "Or, la radicalisation est un enjeu de société globale. Il ne faut pas penser que ce qu'on a vu au travers de l'école va nous donner une image complète. Il ne faut ni exagérer le phénomène, ni le sous-estimer", conclut-il.